Résumé : Depuis une dizaine d’années, la restauration collective, en particulier scolaire, bénéficie d’un accès privilégié à l’agenda public. Dans ce contexte, la commande publique d’aliments est souvent considérée comme un levier pour la transition agroécologique, pouvant orienter le fonctionnement de certaines filières, soutenir des pratiques agricoles et de transformation alimentaire plus écologiques, ou valoriser et structurer l’agriculture à une échelle territoriale.Ancrée dans les débats sur les systèmes agri-alimentaires alternatifs, la thèse combine des éléments conceptuels et théoriques issus de la sociologie de la traduction et du cadre de l’agroécologie afin d’interroger la contribution de l’approvisionnement dit « durable » de la restauration scolaire à la transition agroécologique pour les acteurs de l’offre impliqués.L’analyse se concentre d’une part sur le processus de construction des réseaux socio-techniques de l’approvisionnement durable, mettant en évidence la promesse de différence portée par l’initiateur du réseau, les acteurs enrôlés et leurs représentations de la durabilité, les controverses et les bifurcations, ainsi que les modèles d’agriculture et de transformation ciblés.D’autre part, elle étudie les changements induits par l’approvisionnement durable, à deux échelles : l’échelle individuelle des acteurs de l’offre impliqués vis des achats directs (agriculteur·trices, transformateur·trices et groupement de producteur·trices) et l’échelle territoriale, où émergent de nouvelles formes de coordination entre acteurs.Un travail de terrain combinant des méthodes de recherche qualitative a porté sur trois initiatives d’approvisionnement durable en France et en Wallonie : l’initiative d’introduction d’aliments locaux et bio-locaux portée par la Ville de Montpellier, l’initiative de structuration d’un groupement d’agriculteur·trices bio portée par l’Agglomération du Pays de l’Or, située dans l’aire urbaine montpelliéraine, et l’initiative d’accompagnement aux écoles de la Province de Liège menée par la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise.Les résultats montrent que la relocalisation des approvisionnements est le dénominateur commun à ces initiatives, mais cela n’est pas nécessairement associé à l’enrôlement de modèles de production et transformation en rupture avec le modèle dit dominant. Les choix en matière d’approvisionnement dépendent des répresentations de l’initiateur du réseau, de l’existence d’une politique agricole ou alimentaire plus large sur le territoire et de son cadrage, ainsi que des modèles d’agriculture et d’unités de transformation situés à proximité de l’initiative et de leur capacité à répondre aux besoins de la restauration scolaire. En Wallonie, ces initiatives ont une portée transformative particulièrement limitée, en raison de la résistance du personnel de cuisine aux nouvelles normes de durabilité portées par des acteurs externes à la restauration scolaire. Ensuite, l’approvisionnement durable tend à valoriser les pratiques agricoles et de transformation existantes : l’éventuelle écologisation des pratiques dépend plus de la trajectoire individuelle des producteur·trices que de la demande de ce marché. Enfin, si la vente en restauration scolaire peut avoir des effets économiques et sociaux positifs pour certains acteurs de l’offre, la commande publique d’aliments durables semble surtout servir d’instrument symbolique et consensuel, qui n’attaque pas de front la question de l’écologisation de l’agriculture.
Over the past decade, collective catering, especially in schools, has gained a prominent place on the public agenda. In this context, public food procurement is increasingly recognized as a lever for advancing agroecological transition. It has the potential to influence the development of certain supply chains, support ecologically sound agricultural and food processing practices, and foster the development of agriculture at a territorial level.Rooted in debates on alternative food networks, this thesis combines conceptual and theoretical insights from French pragmatic sociology and agroecology to investigate the contribution of sustainable school food procurement to the agroecological transition for the “new” involved supply actors, including farmers, processors, and farmers groups.The analysis focuses on two primary aspects. Firstly, it delves into the construction of socio-technical networks for sustainable food procurement, highlighting the problematization elaborated by the network leader, the enrolled actors and their representations of sustainability, the controversies and divergences, along with the targeted agricultural and processing models. Secondly, it investigates the changes induced by sustainable food procurement at both the individual level of supply actors involved in direct sales to canteens, and the territorial level, where novel forms of coordination among actors emerge.Fieldwork, employing qualitative research methods, was conducted across three sustainable school food procurement initiatives in France and Wallonia. These included an initiative led by the City of Montpellier, focused on introducing local and organic-local food; an initiative establishing an organic farmers' group for canteens procurement led by the Agglomeration du Pays de l'Or, located in the Montpellier urban area; and a project led by the Ceinture Aliment-Terre Liégeoise aimed at supporting schools in implementing sustainable canteens in the Province of Liège.The results indicate that local food is the common denominator among these initiatives, but this is not necessarily associated with the enrolment of production and processing models that deviate from the so-called dominant model. The decisions around alternative food procurement depend on the network initiator’s representations, the framework of existing local agricultural or food policy, and the models of farming and processing units located near the initiative and their capacity to meet school catering needs.In Wallonia, these initiatives have a particularly limited transformative scope due to the resistance of kitchen staff to new sustainability norms introduced by external actors. Furthermore, sustainable food procurement tend to support existing farming and processing practices rather than drive the ecologization of practices, relying more on the individual trajectories of producers than on institutional market demand.Finally, while selling to school canteens can have positive economic and social effects for some supply chain actors, sustainable public food procurement appears mainly to serve as a symbolic and consensual instrument that does not directly address the issue of agroecological transition.