Résumé : Cette thèse s’intéresse aux « prix d’architecture », ces compétitions honorifiques visant à reconnaître une œuvre, un architecte parmi plusieurs. Son ambition est de comprendre le rôle des distinctions en architecture et ce, en s’attachant particulièrement aux pratiques qui y ont cours. C’est que cet objet souffre d’un curieux paradoxe étant à la fois extrêmement familier et totalement méconnu. Du « Prix de la brique » au « Prix du verre », en passant par celui « de la rénovation », de « l’accessibilité » jusqu’au plus « green » des « awards », les prix sont décidément monnaie courante de nos jours. C’est sans doute cette banalité qui en fait un phénomène qu’on ne voit plus, ou mal. De fait, sans être absentes des travaux universitaires, ces récompenses y donnent essentiellement matière à parler d’autres choses : des œuvres qu’elles reconnaissent, de la qualité architecturale qu’elles interrogent, des systèmes de consécration auxquels elles contribuent. Mais le prix en soi demeure faiblement pensé. L’enjeu de cette thèse est de répondre à cette absence, afin de rendre à nouveau visible cet objet et surtout, de le voir autrement.À cette fin, la réflexion s’appuie sur le tournant pragmatique de la sociologie et prend pour parti d’étudier les prix « dans leur médiation », suivant la pensée d’Antoine Hennion. C’est-à-dire à l’aune des opérations que nous y menons pour expliquer, rendre compte, défendre… bref, faire exister l’architecture et ce, tant au regard de ses objets (œuvres, théories, idées, etc.) qu’au regard de son espace social (notamment celui des architectes). L’« architecture » y est d’ailleurs considérée moins comme un objet, un domaine, une profession, que comme un « monde », au sens d’Howard Becker : le résultat d’une activité collective, le fruit d’un travail constant de médiation entre projets, conventions, personnes et autres institutions qui, ensemble, font advenir ce qu’on appelle l’architecture. Envisageant donc le prix comme un espace de médiation, la thèse entend cerner la manière dont nous y produisons un monde architectural eu égard aux contraintes pragmatiques et morales que nous y rencontrons.Dès lors, la recherche procède, tout d’abord, par exploration, investiguant trois « scènes » de l’histoire des prix belges dans la première moitié du XXe siècle. D’ordre heuristique, ces analyses visent à répondre à des interrogations présentes en puisant dans des situations passées. Chaque scène brasse une multitude de distinctions aux problématiques communes, que des cas permettent d’approfondir, suivant la pratique des acteurs en des situations diverses. Or, il ne s’agit pas seulement de décrire ces pratiques, mais surtout de les interpréter. C’est pourquoi la thèse procède, ensuite, par proposition, développant à partir des enseignements des trois scènes un « regard » sur le prix : un cadre théorique éclairant la façon spécifique dont s’y élabore l’architecture. L’hypothèse consiste à faire reposer cette spécificité sur quatre « conditions » tenant à l’action principale qui guide toute distinction : la reconnaissance. Chaque condition se rapporte ainsi à une question particulière, couvrant ensemble les différents aspects de ce que « reconnaître » veut dire au sein des prix.Traversée par une sollicitude à l’égard de notre capacité d’action, cette thèse s’adresse à toutes les personnes concernées par l’architecture et, a fortiori, à toutes celles ayant affaire aux prix, à commencer par les architectes. C’est qu’en proposant de « voir autrement » les prix, l’ambition est, certes, de comprendre la manière dont nous y faisons un monde de l’architecture, mais ce pour nous donner les moyens de mieux le faire.
This thesis explores « architectural prizes », the honorary competitions that recognise an architectural work or one architect among others. Its main purpose is to understand which role awards play in the architecture field, focusing on the practices at stake. In a curious paradox, « architectural prizes » are extremely familiar yet often disregarded. From « brick » to « glass » including all « green » awards, prizes are relatively widespread nowadays. Perhaps this ordinariness can explain why they became such an unseen phenomenon. Indeed, while they are mentioned in academic works, prizes are mainly used to talk about something else: projects or architects they pay tribute to, architectural quality they question or star systems they help to produce. However, the prize in itself still remains barely considered. This thesis aims to respond to the lack of visibility of architectural awards by offering, above all, a different point of view.Under this objective, the thesis relies on the pragmatic turn in sociology to study prizes « within their mediation » by following the concept developed by Antoine Hennion. In other words, the thesis focuses on the actions we do to explain, understand, report, defend… in short, make architecture « happen », regarding both its objects (projects, theories, ideas, etc.) and its social space (notably, the one of architects). « Architecture » is seen neither as an object, a field or a profession, but as a « world » as Howard Becket defines it: the result of a collective activity, the fruit of steady acts of mediation between projects, conventions, individuals and other institutions that, all together, produce what we call « architecture ». Thus, this manuscript wants to grasp the practical and moral constraints we face while producing a world of architecture within this specific area of mediation that a prize represents.Consequently, the research first proceeds through an empirical study of three « scenes » excerpted from the historiography of Belgian architectural awards in the first half of the 20th century. As a heuristic methodology, this analysis aims to answer a present question by looking at past situations. Every scene gathers several prizes with common issues, each treated as an in-depth case study of the stakeholders in action and in different circumstances. Yet, it is not only a matter of describing these situations, but also a matter of interpreting them. Furthermore, the research proposes a new “view” on architectural prizes: a theoretical framework that elucidates the particular ways used to produce a world of architecture. The hypothesis is that this specificity relies on four “conditions” derived from the main action carried out within awards: recognition. Each condition tackles a critical issue in order to unravel the different aspects of what “recognising” means in the case of awards.With a precise concern on our capacity to act, this thesis is addressed to every person who cares about architecture and, a fortiori, to those who have to deal with prizes, first of all, the architects. By proposing this new “view” on architectural prizes, the ambition is to understand how we produce a world of architecture in order to give us the means to do it better.