Résumé : La mixotrophie (la combinaison de la phototrophie et de l’hétérotrophie chez un même organisme) est une stratégie nutritive très courante chez les protistes planctoniques et son importance pour le fonctionnement des écosystèmes aquatiques a récemment été mise en évidence. La plupart des modèles biogéochimiques décrivant les écosystèmes aquatiques sont cependant encore basés sur le paradigme traditionnel d’une séparation stricte entre les protistes phototrophes (le phytoplancton) et les protistes hétérotrophes (le nano/microzooplancton).Dans la première partie, la thèse de doctorat propose deux modèles mathématiques mécanistiques permettant de décrire l’ensemble des stratégies nutritives déployées par les protistes planctoniques et pouvant être implémentés dans les modèles biogéochimiques. Le premier modèle décrit la capacité des protistes phototrophes à utiliser le phosphore organique dissous (DOP) lorsqu’ils sont limités en phosphate. Le second modèle décrit la mixotrophie stricte (phototrophie + phagotrophie) et permet de représenter les grands types de mixotrophies observés dans les milieux aquatiques: la mixotrophie constitutive et la mixotrophie non-constitutive.Dans la seconde partie du travail, les modèles mécanistiques sont implémentés dans le modèle MIRO (Lancelot et al., 2005) décrivant l’écosystème planctonique de la Baie Sud de la Mer du Nord, avec l’objectif d’étudier le rôle de la mixotrophie sur le fonctionnement d’un écosystème côtier eutrophisé.Les résultats montrent que lorsque les apports en nutriments par les rivières (Seine et Escaut) sont élevés et enrichis en N par rapport au P, le DOP devient une source importante en P pour les protistes phototrophes (surtout pour les colonies de l’espèce nuisible Phaeocystis) ; ne pas en tenir compte mènerait à une sous-estimation de la production primaire (jusqu’à 32%), de la sédimentation (jusqu’à 20%), de la reminéralisation en ammonium (jusqu’à 13%), des émissions de diméthylsulfure (DMS ; jusqu’à 97%), et de la capacité de l’écosystème à absorber le CO2 atmosphérique (avec, certaines années, un changement du rôle de l’écosystème, passant de source à puits de CO2). La production secondaire n’est, par contre, pas affectée par le DOP. Les mixotrophies constitutive et non-constitutive ont en général peu d’impact sur la production primaire, la production secondaire, la sédimentation, et la reminéralisation dans l’écosystème étudié. L’effet de la mixotrophie non-constitutive dépend cependant de la lumière disponible ; les printemps/été caractérisés par des intensités lumineuses élevées, la mixotrophie non-constitutive induit une augmentation de tous les processus étudiés, en particulier la production secondaire (jusqu’à 23%).