Résumé : L’infarctus du myocarde est une cause majeure de morbidité et mortalité adulte dans les pays développés. Le manque de perfusion myocardique induit la mort des cardiomyocytes notamment par apoptose. Un remodelage moléculaire et cellulaire s’ensuit et comprend une hypertrophie des cardiomyocytes dans la zone péri-infarcie, de la fibrose, une réactivation des gènes fœtaux et des changements métaboliques. Ce remodelage entraîne à terme une diminution de fonction menant à la défaillance cardiaque. Les traitement médicamenteux améliorent la qualité de vie et la survie mais ne peuvent guérir. La thérapie hybride (cellulaire et génique) est une approche thérapeutique nouvelle et prometteuse pour l’infarctus du myocarde. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les travaux de ma thèse.

Les cellules souches mésenchymateuses (CSM) sont des cellules souches adultes de choix pour la thérapie cellulaire. Plusieurs études ont montré qu’elles participent à la cardioprotection et à la régénération du myocarde en sécrétant une myriade de facteurs de croissance et de cytokines aux effets pro-angiogéniques et anti-apoptotiques.

Le « stromal-derived factor-1 » (SDF-1) ou CXCL12 est une chimiokine produite par un grand nombre de cellules dont les CSM et les cardiomyocytes. Il est un ligand pour CXCR4 et CXCR7, 2 récepteurs de la famille des récepteurs liés aux protéines G. CXCL12a est un facteur critique pour la migration, la domiciliation et la survie des cellules souches de la moelle osseuse dans le myocarde infarci et pour la survie des cardiomyocytes. Dans l’infarctus aigu du myocarde, un délai entre la fenêtre temporelle d’activation du ligand et de son récepteur rend cet axe peu efficace. Dans les pathologies ischémiques chroniques, une altération de la signalisation CXCL12a/CXCR4 réduit ses effets bénéfiques.

Ces observations ont conduit au développement d’approches thérapeutiques ciblant l'axe CXCL12a/CXCR4. CXCL12a peut être administré seul, sa production peut être stimulée par la transplantation de cellules souches, enfin sa synthèse peut être augmentée dans le myocarde par thérapie génique ou par l’association d’une thérapie cellulaire et génique. La majorité des études montrent une amélioration du remodelage et de la fonction cardiaque associée essentiellement à une néovascularisation et un effet antiapoptotique. Cependant, les effets directs de CXCL12a sur les cardiomyocytes ne sont pas encore complètement élucidés.

L’objectif général de ce travail était de contribuer à la compréhension des mécanismes d’action de CXCL12a sur les cardiomyocytes néonataux de rat que celui-ci agisse seul ou dans le cadre d’une thérapie hybride.

Dans la première partie de ce travail, nous avons étudié les effets non génomiques de CXCL12a en nous focalisant sur l’homéostasie calcique et ses conséquences fonctionnelles. Nous avons investigué la modulation des flux calciques par CXCL12a en chargeant le cytoplasme de cardiomyocytes néonataux de rat en culture avec le Fluo-4 acétoxyméthyl ester, indicateur fluorescent du niveau de calcium. CXCL12a augmente le calcium intracytoplasmique. La réponse calcique dépend de la liaison de CXCL12a à CXCR4 et majoritairement de l’ouverture des canaux calciques dépendants de l’inositol triphosphate (IP3Rs). Le flux calcique induit par la caféine (un agoniste des récepteurs à ryanodine) est diminué lorsque les IP3Rs sont bloqués. Ceci peut s’expliquer par une interaction entre ces 2 canaux. L’incubation avec le CXCL12a augmente in vitro la fréquence de battement des cardiomyocytes et cet effet est additif à celui de la forskoline (un activateur de l’adénylate cyclase). In vivo, l’administration intramyocardique de CXCL12a augmente le dP/dt max (indice de contractilité cardiaque) du ventricule gauche.

Dans la deuxième partie de ce travail, nous avons étudié les effets génomiques de CXCL12a; le but de cette étude était double : (1) identifier de nouvelles voies de signalisation contribuant aux effets de CXCL12a sur les cardiomyocytes et (2) comparer les effets de CXCL12a administré seul aux effets du surnageant de CSM surexprimant CXCL12a. Nous avons construit le lentivirus pWXLd-CXCL12a-IRES-GFP pour transduire des CSM en culture. L’expression protéique de CXCL12a dans le surnageant des CSM transduites a été confirmée par ELISA et l’activité du CXCL12a a été vérifiée par le test à l’aequorine. Pour identifier de nouvelles voies de signalisation modulées à l’étage transcriptionnel, nous avons privilégié le microarray, méthodologie qui permet une approche globale sans à priori. Nous avons ensuite confirmé les résultats par une approche ciblée sur certains gènes par la technique de RTQ-PCR. Pour le microarray, les cardiomyocytes ont été incubés pendant 1 heure avec (a) du CXCL12a commercial µ dilué dans le milieu des cardiomyocytes sans FBS, (b) le milieu des cardiomyocytes sans FBS (échantillon témoin de a), (c) le surnageant de CSM transduites par le virus pWXLd-CXCL12a-IRES-GFP et (d) le surnageant de CSM transduites par le virus pWXLd-GFP (échantillon témoin de c). Un ensemble discret de 218 gènes correspondant à 0,63% du génome du rat étaient régulés. Parmi les 60 gènes communs rapidement modulés dans les deux conditions (a et c), 34 étaient sur-exprimés alors que 26 étaient sous-exprimés. L’analyse avec le logiciel David suggère que le CXCL12a seul à la dose de 5 μM ou présent dans le surnageant de CSM le surexprimant à la concentration d’environ 2 nM module des voies déjà connues comme la voie des MAPkinases et plusieurs voies liées à l’apoptose comme JAK/STAT, p53 et NOD ainsi que 2 nouvelles voies: le voie des adipocytokines et de PPAR. Par RTQ-PCR, nous avons confirmé la modulation positive par CXCL12a de JAK2 et AKT. De plus, CXCL12a réprime l’expression protéique de la LPL, l’expression génique de la FABP et de l’Angptl-4 et l’expression génique et protéique de l’adiponectine, protéines toutes impliquées dans le transfert des acides gras et leur β oxydation.

Nous avons ensuite investigué les effets génomiques de CXCL12a dans le cadre d’une thérapie hybride. L’analyse du microarray et l’analyse ciblée de quelques gènes ont permis de conclure que la modulation de l’expression génique dépend non seulement de la concentration en CXCL12a mais également de la présence d’autres facteurs soit issus directement du milieu de culture commercial des CSM soit issus du milieu conditionné des CSM.

Ce travail ouvre de nouvelles perspectives pour mieux comprendre le rôle de CXCL12a dans l’homéostasie calcique et le métabolisme des lipides et son impact dans la physiopathologie du cœur. De plus, ce travail appuie le fait que le développement clinique des thérapies hybrides doit être précédé d’une investigation complète des effets génomique et non génomiques de cette thérapie sur les cardiomyocytes. Cependant, il faut rester prudent car, à cause de l’environnement du myocarde sain ou malade, aucune étude fondamentale ne permet de prédire l’ensemble des effets in vivo.