Résumé : La Leucémie Lymphoïde Chronique (LLC) est la forme de leucémie la plus courante dans le monde occidental. Elle est caractérisée par une accumulation de lymphocytes B leucémiques (B-LLC) dans le sang, les ganglions lymphatiques et la moelle osseuse. Cette accumulation est principalement due à un défaut d’apoptose bien que des centres prolifératifs existent également. Encore aujourd’hui, cette maladie reste incurable pour une partie des patients, bien qu’il existe différents types de traitements (chimiothérapie, anticorps monoclonaux, inhibiteurs de la cascade BCR ou de BCL2). L’évolution clinique de cette maladie est hétérogène : certains patients ne présenteront aucun symptôme alors que d’autres évolueront très rapidement vers des stades nécessitant une prise en charge thérapeutique. Lorsque ces B-LLC se trouvent dans les ganglions lymphatiques ou dans la moelle osseuse, ils sont en contact avec de nombreux autres types cellulaires constituant leur microenvironnement. Les cellules leucémiques peuvent communiquer avec les cellules de leur microenvironnement par contact direct, production de facteurs solubles ou par l’intermédiaire de vésicules extracellulaires (VEs). Ces VEs sont des vésicules d’une taille allant de 100nm à 1µm qui contiennent notamment de l’ADN, de l’ARN, des protéines et des microARNs. Les VEs peuvent littéralement voyager entre les différentes cellules et leur délivrer leur contenu. Il est important de noter que les contenus de ces VEs peuvent être modulés par les différents stimuli reçus par la cellule. Un des stimuli les plus importants reçus par la cellule leucémique est la stimulation de son récepteur B (« B cell receptor » ou BCR). Cette stimulation active la cellule leucémique et augmente sa survie et ses capacités migratoires. Au cours de ce travail, nous avons tout d’abord produit in vitro et isolé par une série d’ultracentrifugations différentielles des VEs de cellules B de patients atteints de LLC. Nous les avons caractérisées grâce à différentes techniques (cytométrie en flux, microscopie électronique, Nanotrack analysis). Nous avons par la suite établi que les monocytes étaient le type cellulaire qui internalisait préférentiellement ces VEs. Dès lors, notre but a été de comprendre l’effet des VEs de LLC (avec ou sans stimulation du BCR) sur les monocytes. Il est en effet connu que les monocytes sont capables de se différencier en cellules pseudo-nourricières (« nurse-like cells » ou NLC) lorsqu’ils sont en contact prolongé avec des cellules leucémiques. Ces NLC présentent un phénotype se rapprochant des macrophages de type M2 et permettent d’augmenter la survie et la chimiorésistance des B-LLC, mais leur formation et leur contenu restent encore peu étudiés. Nous avons tout d’abord étudié le contenu en microARNs de ces VEs par séquençage de nouvelle génération suite à une stimulation du BCR. Nous avons mis en évidence que l’activation du BCR augmentait l’expression des miR-155-5p, miR-146a-5p et miR-132-3p dans la cellule mais également leur présence au sein des VEs. Ce transfert de microARNs par les VEs dans les monocytes est accompagné d’une diminution de certains de leur ARNm cibles, et une augmentation de certains ARNm associés à une différenciation en NLC. Après avoir traité des monocytes avec les VEs de LLC sans stimulation (VEs contrôle) et avec stimulation du BCR (VEs BCR), nous avons observé après 24h le transfert de ces 3 microARNs (en particulier avec les VEs BCR). De plus, 5 jours après le traitement, nous avons observé un changement morphologique avec un aspect fibroblastique, nettement plus évident avec les VEs BCR et typique de macrophages de type M2. En outre, nous avons observé une augmentation de nombreuses cytokines (plus significative avec le traitement VEs BCR). Le sécrétome de ces monocytes se rapproche également du sécrétome des NLC : de nombreuses cytokines ont en effet été décrites comme produites par les NLC et/ou favorisant la survie ou la migration des cellules leucémiques. Enfin, nous avons démontré que les monocytes traités avec les VEs BCR (mais non les VEs contrôle) protégeaient les cellules leucémiques de l’apoptose spontanée et augmentaient leur migration. De plus, les cytokines produites par ces monocytes différenciés peuvent également attirer d’autres monocytes amplifiant l’établissement d’un microenvironnement protecteur. De manière intéressante, lorsque les VEs sont traitées avec de la RNase à haute dose dégradant le contenu ARN, les VEs perdent leur pouvoir d’induire des modifications dans les monocytes. En conclusion, nous avons montré que la stimulation BCR modifiait le contenu en microARNs des VEs de B-LLC, et qu’après une stimulation BCR, celles-ci étaient capables d’induire des changements au niveau des monocytes compatibles avec une différenciation en NLC. Nos travaux démontrent que les VEs représentent un élément non négligeable dans la communication intercellulaire et que la modulation de leur contenu afin d’inhiber la formation des NLC pourrait représenter une nouvelle approche thérapeutique potentielle.