Thèse de doctorat
Résumé : Les Scolytinae sont une sous-famille des Curculionidae (charançons) qui comporte environ 6.400 espèces avec diverses stratégies de reproduction. La plupart des espèces de scolytes utilisent un système de reproduction exogame. Les individus émergent de leurs arbres hôtes natals, se dispersent en volant, et s’accouplent avec des conspécifiques non-apparentés dans un nouvel hôte dans lequel les femelles établissent une galerie maternelle pour pondre leurs oeufs. Cependant, chez plusieurs espèces exogames, certaines femelles sont déjà accouplées avant de coloniser un hôte. L’accouplement avant la colonisation peut découler d’un accouplement en pré-émergence dans l’hôte natal, d’un accouplement après dispersion pendant l’alimentation de maturation ou l’hivernation dans un nouvel hôte, ou d’un accouplement dans l’hôte où les femelles établissent une galerie maternelle. Ce dernier cas est uniquement vrai pour des accouplements avant la colonisation si les femelles réémergent et colonisent un nouvel hôte pour établir une nouvelle galerie maternelle. L’accouplement en pré-émergence entre individus apparentés est la règle chez les espèces endogames. Les scolytes comprennent des ravageurs de plantes ayant des impacts économiques et écologiques considérables dans le monde entier, avec certaines espèces s’étant établies en dehors de leur aire de distribution native. Les espèces endogames sont surreprésentées parmi ces espèces. Un accouplement précoce fournit aux femelles une réserve de sperme qui leur permet d’établir une galerie par elles-mêmes. Par conséquent, la nécessité de trouver un partenaire sexuel lors de la colonisation d’un hôte est éliminée. L’accouplement en pré-émergence et après dispersion pourraient jouer un rôle crucial dans les capacités d’invasion des espèces de scolytes exogames. Ces stratégies de reproduction augmentent les opportunités d’accouplement et pourraient favoriser leur établissement sur de nouveaux territoires où il y a généralement peu de conspécifiques présents à l’origine. Dans cette thèse, nous avions pour objectif d’étudier la fréquence des accouplements avant la colonisation d’un hôte chez les espèces de scolytes exogames et son influence potentiel dans un contexte d'invasion biologique à travers quatre chapitres complémentaires. Dans le premier chapitre, nous avions pour but de mettre en évidence l'occurrence d’accouplements en pré-émergence chez Ips typographus (L.) et d’estimer leurs conséquences sur la productivité des femelles. Ips typographus est une espèce exogame native d’Eurasie qui cause d’important dégâts aux forêts d’épicéas. Nos résultats ont démontré la présence d’accouplements précoces et leur fréquence était associée à la durée passée sous l'écorce par les individus. En conditions de laboratoire, nous avons trouvé que bien que la présence d'un partenaire mâle lors de l'établissement d'une galerie maternelle n'ait pas favorisé la productivité des femelles exogames, l'accouplement en pré-émergence impliquant des individus apparentés a mené à une productivité réduite des femelles consanguines, en se manifestant par de nombreux oeufs non-développés et une mortalité post-larvaire élevée. En accord avec ces résultats, les femelles ont montré une préférence pour s'accoupler avec des mâles non-apparentés plutôt qu'avec des frères lorsqu'elles en avaient le choix.Dans le deuxième chapitre, nous avons exploré les implications de la polyandrie chez I. typographus en analysant: (i) un possible biais de paternité au sein de la descendance des femelles polyandres (accouplées deux fois), (ii) l’influence sur la paternité de la résidence prolongée d’un second mâle avec la femelle, et (iii) l'impact de l’accouplement multiple sur la productivité des femelles. Cette étude a révélé un biais de paternité au sein des descendants des femelles polyandres, avec le second mâle engendrant, en moyenne, plus de descendants que le premier mâle (précédence spermatique). La paternité du second mâle n’était pas positivement corrélée avec le temps passé avec la femelle (24 heures ou 10 jours). De plus, nous n’avons trouvé aucune différence de productivité entre les femelles monandres et polyandres. Ces résultats suggèrent premièrement que la précédence spermatique en faveur du dernier mâle peut être observée dans un court laps de temps et, deuxièmement, que les mâles ne restent pas avec une femelle pour augmenter leur paternité via des accouplements répétés.Dans le troisième chapitre, nous avons déterminé si la fréquence des accouplements avant la colonisation d’un hôte pouvait promouvoir les capacités d’invasion des espèces de scolytes exogames. À l’aide d’une analyse phylogénétiquement contrôlée, nous avonscomparé les proportions de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte chez 18 espèces européennes de scolytes exogames classées en deux catégories: connues pour s’être établies en dehors de leurs aires de distribution natives (scolytes vagabonds) ou restreintes à leurs aires de distribution natives (scolytes non-vagabonds). Une proportion de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte a été capturée, au printemps, chez les 18 espèces étudiées (18% à 100%). Ce comportement reproducteur était associé aux capacités d’invasion car les proportions de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte étaient plus élevées chez les espèces de scolytes vagabondes comparées à celles non-vagabondes. Ces résultats suggèrent que l’accouplement avant la colonisation, et plus particulièrement, l’accouplement en pré-émergence et l’accouplement après dispersion, pourraient faciliter l'établissement des scolytes sur de nouveaux territoires. De plus, nous avons observé que le pourcentage élevé de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte dans l’aire de répartition native d’Hylurgus ligniperda (Fabricius) (90%), une espèce paléarctique actuellement présente dans une grande partie du monde, était encore plus élevé dans son aire de répartition non-native (99%). Enfin, dans le quatrième chapitre, nous avions pour objectif d’analyser les proportions de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte chez quatre espèces américaines de scolytes exogames: Dendroctonus frontalis Zimmerman, I. avulsus (Eichhoff), I. calligraphus (Germar), et I. grandicollis (Eichhoff). Ces espèces partagent généralement le même hôte et causent des dommages considérables aux forêts de pins dans le sud des États-Unis. Nous avons examiné si les proportions de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte variaient au cours du temps, au printemps, et selon les lieux d'échantillonnage. Pour ce faire, nous avons comparé deux périodes d’échantillonnage pour l’ensemble des espèces étudiées et, pour D. frontalis, en prenant en compte cinq comtés. Nous avons constaté que des femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte étaient présentes chez toutes les espèces étudiées (20% à 96%). Ips calligraphus et I. grandicollis sont des espèces de scolytes vagabondes et présentaient toutes les deux des pourcentages globaux très élevés de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte, 86% et 95%, respectivement. De plus, nous avons observé que la proportion de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte variait en fonction de la période d'échantillonnage, augmentant durant les deux dernières semaines comparée aux deux premières semaines d'échantillonnage, et également en fonction des lieux d'échantillonnage, étant plus élevée dans les comtés du sud que dans ceux du nord. La réémergence des individus au cours des deux dernières semaines d’échantillonnage pourrait expliquer cette augmentation de la proportion de femelles accouplées avant la colonisation d’un hôte. D’autre part, des variations de facteurs abiotiques, telles que des températures plus élevées dans les comtés du sud comparés à ceux situés plus au nord, pourraient favoriser les accouplements en pré-émergence en augmentant l’activité des individus sous l’écorce pendant l’hiver ou pourraient avancer la période d’essaimage.