Thèse de doctorat
Résumé : Le concept de signifiant est au cœur de la reprise lacanienne de la théorie freudienne. Il s'agit de l'observation clinique que les formes de mots (leur versant phonologique), indépendamment de leur signification sémantique, aient une effectivité mentale pour induire des émotions ou des symptômes. Nous proposons de tester un aspect de cette proposition, à savoir que le monde environnant nous arrive aussi par son versant phonologique et son influence peut dépendre de certains traits de la personnalité. Nous proposons deux études principales, l’une basée sur la tâche ‘Rébus’ et une sur la tâche appelé ‘Liste de Mots’. Pour la tâche Rébus, nous avons conçu un paradigme proposant des rébus français comme deux images côte à côte. Par exemple, l'image d'un pain /pɛ̃/ et d'un seau /so/ formant ensemble le rébus pinceau /pɛ̃so/ suivi d'un mot cible sémantiquement lié à la résolution du rébus (par exemple, toile /twal/). Nous montrons que les participants naïfs (ceux qui ne sont pas aperçus que les images formaient un rébus) ont produit - dans leurs associations écrites sur le mot cible - plus de résolutions de rébus (pinceau /pɛ̃so/) lorsque le mot cible était précédé par les images formant le rébus lié que lorsqu'il était précédé par des images formant un rébus non lié (par exemple l’image d’un paon et de la terre formant le rébus panthère). Ce résultat était indépendant de l'ordre des images, mais n'était pas présent lorsqu'une seule des deux images était montrée. En d'autres termes, les gens résolvent les rébus sans le savoir, à la fois à l’endroit et à l’envers. La deuxième méthode, ‘Liste de Mots’ prévoit un choix de similitude forcé entre deux cibles liées à l’amorce, soit phonologiquement, soit sémantiquement, soit qui ne sont pas liés. Ce que nous mesurons est la préférence pour les participants d’une cible par rapport à l’autre dans différentes conditions. Nous montrons que les participants qui choisissent plus de cibles sans lien de similarité quand ils doivent opérer un choix entre une cible phonologique et une cible ‘nothing’ (PN) sont aussi ceux qui résolvent moins bien les rébus. Outre la simple interprétation plus linguistique - c'est-à-dire que les participants qui ont moins de ‘sensibilité phonologique’ résolvent moins bien des rébus - nous discutons aussi une hypothèse plus générale. Cette hypothèse, sur base de précédants résultats empiriques prévoit que la ‘fuite de la phonologie’ pourrait aussi s’apparenter à une mesure de défensivité comme trait de personnalité. Le versant phonologique du langage peut être considéré comme potentiellement anxiogène ; il pourrait donc s’agir de se défendre de façon structurelle contre cette ambiguïté phonologique. Cette défensivité réduirait alors l’influence de type ‘rébus’ du monde visuel sur la pensée. En conclusion, en montrant que le monde visuel peut avoir un effet rébus sur la pensée, c’est-à-dire, un effet produit par la trace phonologique associée aux images, et que cette influence phonologique ambiguë serait sensible à une supposée défensivité chez le sujet, nous contribuons à la constitution d’éléments empiriques étayant une effectivité mentale du signifiant, telle que Lacan l’a proposé.