Résumé : En 2010, le premier Memorandum of Understanding (MoU) est signé entre le gouvernement grec et la « troïka », un organe ad hoc chargé de gérer la crise économique en Grèce pour le compte des États membres de l’Union européenne. Un an plus tard, la « task force pour la Grèce » est créée à la Commission européenne pour aider à la mise en œuvre des réformes demandées dans ce cadre, mais aussi pour soutenir l’accélération de l’absorption des fonds européens. Cette thèse se penche sur ce service d’assistance technique mis sur pied au cœur de la crise. L’enquête part d’un écart énigmatique entre deux observations. D’un côté, on associe couramment la gestion de la crise grecque au tableau d’une Europe désunie, technocratique et austéritaire ; de l’autre, il apparaît sur le terrain que les personnels européens ont régulièrement dénoncé les débordements et les limites de cette gestion. Ce hiatus cristallise toute la complexité de l’intervention européenne dans la crise grecque, de son plus haut niveau de politisation jusqu’à l’ordinaire du travail normatif de ses responsables. Nous montrons que les membres de l’assistance technique ont été amenés à composer avec les termes équivoques, sinon contradictoires, d’un mandat marqué par l’exceptionnalité de la configuration politique globale : comment faire le lien entre les mesures budgétaires et les réformes de long cours, ou entre le temps de la crise et le temps démocratique ? Autrement dit, comment agir conformément aux règles juridico-morales qui gouvernent l’Union européenne dans une situation réputée y attenter du tout au tout ?Combinant entretiens, observations, documents officiels et internes ainsi qu’un corpus médiatique, cette thèse interroge la morale professionnelle des personnels européens à l’aune des épreuves qu’emporte cette intervention dans la crise et « à distance ». À l’aide des outils de la sociologie politique, de la sociologie des crises et de la sociologie des dispositifs, elle examine de façon relationnelle les logiques d’action qui s’y sont jouées, dans leur conflictualité et leurs dilemmes. Ce dispositif d’enquête offre un éclairage nouveau sur les réalités du gouvernement européen de la crise, ainsi que sur la façon dont les réserves et les critiques de ses acteurs ont été exprimées et régulées. À partir des expériences ordinaires des acteurs membres de ce service bureaucratique apparemment éloignées de la « grande politique », l’objectif est de saisir plus justement les manières dont les coopérations européennes et ses projets modernisateurs s’envisagent, se tissent et s’éprouvent.