Résumé : Cet article propose de caractériser les formes de conflits qui opposent, particulièrement depuis 2018 en France, des collectifs de citoyens et militants à des projets de localisation d’activités industrielles relevant des secteurs économiques des plateformes numériques et des complexes de loisirs. Nous situons ces projets dans le cadre de stratégies privées et publiques de développement territorial pensées selon le paradigme de l’économie créative. Nous avons identifié quinze conflits contemporains sur le territoire national relatifs à des projets de construction de sites logistiques pour le e-commerce ou de complexes de loisirs présentés comme ayant une dimension culturelle et créative. Nous avons articulé une analyse socio-sémiotique d’un corpus d’articles de presse et de communiqués institutionnels relatifs à ces conflits avec la réalisation d’une trentaine d’entretiens auprès des acteurs locaux concernés. Nous montrerons dans un premier temps que ces conflits consistent en une opposition entre différentes perceptions et conceptions des espaces, à différentes échelles ; à ce titre, ils relèvent d’une géopolitique locale pour la maîtrise des territoires. Au-delà de singularités locales, ces phénomènes ont en commun de confronter un ensemble de pratiques établies au sein des institutions publiques et privées à d’autres paradigmes du développement socio-économique des territoires, revendiqués par les opposants à ces projets. Ces conflits portent à la fois sur des valeurs et croyances que les opposants jugent « dépassées » ou incompatibles avec les grands enjeux sociétaux contemporains (environnement, inégalités sociales, fiscalité) et sur les modalités mêmes de la gestion des décisions publiques. À une logique du contrat Public/Privé, souvent couvert par le secret et qui tend à invisibiliser les spécificités socio-économiques locales au profit d’une harmonisation mondiale, est ainsi opposé un processus de construction de biens communs, qui repose sur l’articulation de multiples échelles spatiales. Après avoir caractérisé les formes d’organisation et d’action des acteurs concernés par ces conflits, nous proposons une modélisation de ces phénomènes de politisation multiscalaires à partir de contestations ancrées localement.