Résumé : Interroger les marges mène à s’intéresser à ce monde de l’« entre-deux » qui inquiète autant qu’il fascine. Les espaces de transition, qu’ils soient pris dans leur dimension politique, spatiale ou économique sont en effet le lieu où s’opère la rupture avec la norme, le basculement vers un ailleurs dont les contours ne sont pas nécessairement aisés à déterminer. Toujours relatives, les marges n’existent toutefois que dans leurs rapports vis-à-vis d’un centre, posant la question essentielle de savoir ce qui construit la normalité et conditionne les mécanismes de représentation du réel. Dans l’étude des mondes médiévaux, l’historiographie récente tend ainsi à mettre en évidence la grande diversité des places considérées comme centrales et périphériques, la pluralité des rapports de force existant entre elles et le caractère éminemment changeant de leur hiérarchisation, qui ne cesse de se redéfinir au gré de phénomènes complexes de marginalisation et d’intégration. C’est avec l’objectif d’apporter une contribution à ces réflexions sur la diversité des zones de marges que cette thèse s’est intéressée à la Toxandrie du haut Moyen Âge (VIIe-XIe siècle). En tant que région excentrée, au rendement agricole faible et où les manifestations du pouvoir s’avèrent peu documentées, cet espace donnait en effet la possibilité d’envisager les phénomènes de construction carolingienne et ottonienne sous un angle différent, partant non pas des structures politiques et économiques qui ont fait la puissance de ces dynasties et fondé leur légitimité, mais d’une zone « périphérique » dont les processus d’intégration ont permis à des pouvoirs émergeant de se définir en tant que nouveaux « centres ». Le traitement particulier dont la Toxandrie médiévale a fait l’objet dans l’historiographie constituait un motif supplémentaire de s’intéresser à ce dossier. Autrefois stigmatisée en raison de ses paysages, cette contrée a longtemps fait figure d’espace marginalisé dans la discipline historique avant de devenir, à partir des années 1980, l’une des régions archéologiques les plus fouillées du nord-ouest occidental. Ce revirement majeur dans la manière de conceptualiser le territoire toxandrien donnait donc l’occasion de revenir sur certaines problématiques gravitant autour des marges, en particulier sur les notions de « centre » et de « périphérie » telles qu’elles sont parfois utilisées en histoire médiévale. Après avoir replacé la Toxandrie dans son contexte documentaire, spatial et historiographique (I. Définitions), cette recherche se penche sur les différentes structures locales du pouvoir et leurs évolutions dans le cadre des transformations du monde franc (II. Pouvoirs et Territoires). La troisième section (III. Stratégies politiques et maîtrise de l’espace) procède quant à elle à l’étude des groupes « dominants » et de leurs attitudes vis-à-vis d’un territoire tel que la Toxandrie, en vue d’évaluer ce que l’histoire des contrées de la Meuse inférieure apporte à la connaissance des royaumes francs et des processus de construction du pouvoir.