Résumé : Le Sénégal fait partie des pays les moins avancés (PMA) fortement vulnérables aux changements environnementaux, dont les dérèglements climatiques, qui fragilisent davantage les conditions de vie de leurs populations et leurs écosystèmes. Depuis une dizaine d’années, des académiques, des praticiens du développement et des décideurs politiques semblent convaincus de l’idée de migrants fonctionnant (potentiellement) comme des « agents adaptatifs » à divers niveaux et secteurs économiques de leur pays d’origine. Cette thèse en sciences et gestion de l’environnement repose notamment sur ce constat : si la mobilisation de la diaspora en vertu d’un discours global affirme leur nécessité et leur contribution potentielle pour l’adaptation, les dynamiques sociales et politiques sous-jacentes sont encore peu démontrées dans la littérature et les études de cas. Dans ce contexte, l’objectif principal poursuivi par la thèse est de comprendre le rôle des dimensions politiques et écologiques dans les pratiques translocales - compris ici comme transferts politiques - de membres de communautés migrantes originaires de zones affectées par des changements socio-environnementaux. Cette recherche vise à comprendre si - et comment - des pratiques de transferts politiques des membres de communautés migrantes contribuent aux processus d’adaptation aux changements environnementaux dans des villages ruraux sahéliens. Pour répondre à cette question, nous proposons une analyse originale, multisites, multiniveaux et multi-acteurs des pratiques de transferts à travers le cas d’étude suivant : des migrants en Belgique membres de la communauté haalpulaar originaire de villages dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal. Nous appréhendons leurs pratiques dans leurs diversités et leurs logiques issues du champ social translocal de développement villageois. Cette thèse utilise plusieurs méthodes qualitatives (observations non participantes, entretiens individuels et collectifs) pour analyser les pratiques translocales des migrants haalpulaaren en Belgique à travers les perceptions socio-environnementales et les discours des migrants internes (à Dakar) et internationaux (en Belgique) et des non migrants restés au village d'origine. Cette thèse propose dès lors une démarche articulée en quatre étapes principales : (1) La revue critique de la construction conceptuelle du champ d’étude de la migration comme stratégie d’adaptation installe un cadre théorique novateur, développé sur base des données empiriques récoltées. Cette recherche interdisciplinaire adopte une perspective de résilience sociale translocale avec une approche ethnographique éclectique et Bourdieusienne, informée par le champ de la political ecology. (2) Au niveau empirique, nous analysons les perceptions des risques environnementaux qui affectent les conditions de vie dans la région de la moyenne-vallée du Fleuve. Face à la vulnérabilité des villageois aux changements environnementaux, nous tentons de saisir les représentations sociales qu’ils ont des migrants internationaux, notamment leurs attentes et demandes sociales en lien avec ces aléas environnementaux identifiés. Si notre analyse intègre plusieurs secteurs-clés en termes de moyens de subsistance locaux, elle se penche plus en profondeur sur le secteur de l’agriculture. Ce choix s’explique par l’importance de l’adaptation aux changements environnementaux dans ce contexte spécifique, où les niveaux de vulnérabilité sont très élevés. Ensuite, nous analysons le rôle que jouent les perceptions socio-environnementales des migrants internes (néo-Dakarois, membres de villages d’origine) sur les attentes sociales envers les migrants internationaux. Quelles sont les articulations entre ces attentes des néo-Dakarois, d’une part, et leurs contributions depuis Dakar aux stratégies d’adaptation au village d’origine, d’autre part ? Finalement, en Belgique, ce sont les perceptions et expériences socio-environnementales des migrants haalpulaar qui nous intéressent, tant avant qu’après leur projet migratoire. (3) Ensuite, nous procédons à une analyse des principales pratiques translocales des migrants internationaux. Celles retenues sont identifiées par nos répondants, au Sénégal et en Belgique, comme des transferts améliorant à un niveau collectif les conditions de vie villageoises affectées par des changements environnementaux. Cette analyse intègre l’examen des dimensions politiques qui traversent ces pratiques, révélant des processus et mécanisme sociopolitiques dans le champ social translocal au niveau du village sénégalais et en Belgique. L’analyse de ces mécanismes translocaux fait appel à l’implication des changements de rapports de pouvoirs par les institutions sociales (famille, entreprises, associations). Nous distinguons les pratiques translocales d’adaptation aux impacts environnementaux à évolution lente (adaptation à plus long terme, ex ante) et celles qui servent à faire face aux effets environnementaux/climatiques à évolution rapide (coping strategies à plus court terme, souvent ex post). (4) Finalement, nous dressons une typologie des migrants haalpulaaren en Belgique par rapport à leurs capacités à s’engager dans des pratiques de transferts politiques, qui puissent servir aux stratégies d’adaptation collectives dans leur village d’origine. Notre travail a permis de montrer les limites structurelles des capacités des migrants à s’engager dans des pratiques de transferts qui permettent d’améliorer les conditions de vie affectées au pays d’origine par des changements socio-environnementaux. En effet, ils sont contraints par des conditions sociales translocales, qui sont notamment significativement traversées par des enjeux politiques. Ils construisent leurs capacités d’adaptation (capitaux) dans plusieurs sites à la fois, et à des échelles diverses (famille, association, entreprise, village…). Les divers capitaux dans le sens de Bourdieu (1986) nécessaires pour acquérir une reconnaissance sociale s’accumulent ou se (dé-)construisent dans un espace et un champ social translocal, du pays de destination et celui du pays d’origine (notamment au village d’origine, mais souvent aussi à Dakar). Les moyens d’existence (les ressources) et l'amélioration des conditions de vie des villageois passent notamment par la construction du capital social translocal (des réseaux et partenariats). Les capacités d’adaptation collectives s’en retrouvent modifiées et généralement renforcées. La reconnaissance sociale des membres de la communauté villageoise envers les migrants engagés et opérant divers types de transferts – familiaux ou communautaires - confère une légitimité et un pouvoir politique, non seulement aux migrants mêmes et à leur famille, mais aussi à leur communauté villageoise. La thèse établit ainsi des connexions et interdépendances complexes entre les différents sites et niveaux impliqués dans les pratiques de transferts, ayant effectivement ou potentiellement des conséquences et retombées politiques. Elle démontre comment les conditions translocales façonnent le champ social de développement villageois et les marges d’actions des émigrés en matière de contributions à l’adaptation collective. En même temps, ces effets politiques – intentionnels ou non – semblent précisément utiles à mobiliser les ressources privées et/ou publiques nécessaires à l’adaptation des groupes au sein de la communauté villageoise d’origine. À la lumière de ce travail, l’une de nos recommandations principales est de penser aux pratiques de transferts des migrants non seulement sur le plan des moyens d’existence par rapport aux stratégies d’adaptation endogène, mais aussi en ce qui concerne les implications de changements de relations de pouvoirs impulsés par l’extérieur. En effet, ces changements de relations de pouvoirs peuvent influencer les capacités d’adaptation et les vulnérabilités des institutions sociales translocales au village (familles, entreprises, associations). De plus, nous encourageons davantage de réflexions et d’analyses critiques dans les recherches portant sur divers types de transferts des migrants. Et ce, particulièrement au vu de l’immense défi que posent les changements environnementaux auxquels les migrants « agents adaptatifs » sont attendus à participer, sans que nécessairement ils puissent y répondre.
Policymakers and scholars increasingly assume migrants to be “agents of change” (Grabowska et al., 2017), “agents of development” (Sinatti & Horst, 2015) or “adaptive agents” in the face of climate change for their country or community of origin (Ransan-Cooper et al., 2015). However, we argue that this should not be argued ideologically, but should be investigated more thoroughly. Indeed, it is mostly assumed in a neo-liberal fashion, notably in the New Economics of Labour Migration theory, that the migrant-actor is a flexible, resilient individual coping in a too often depoliticised context. Very few research has been done so far in what I investigated in the migration as adaptation-research strand. The role of remittances for social resilience has been addressed (Adger et al., 2002). The literature contains many references to factors that favour social resilience, such as financial remittances, livelihood diversification, participation in decision processes, openness to innovations (through social remittances), and many more (Siegmann, 2010; Béné et al., 2012; Grabowska et al., 2017).However, there are very few studies simultaneously integrating in their analysis: 1. The translocal dimension of remittances or “translocality”. Most studies look at in-situ impacts – at the place of origin or destination on a general level – neglecting the translocal dimension of migration (Sakdapolrak et al., 2016).2. Political dimension, including translocal power relations in the analysis for adaptation and social resilience. In this regard, the thesis mobilises Pierre Bourdieu’s Theory of Practice and the critical field of political ecology.3. Ecological/environmental dimension looking further at emic perceptions of adaptation to environmental change, including climate change.4. various social entities or translocal social institutions in the village of origin and in the country of destination, beyond the classical household-level analysis (i.e., family, association, enterprises). The general objective of the thesis is to understand the role of political and ecological dimensions in translocal practices - understood here as political remittances - of members of migrant communities from areas affected by environmental change. More specifically, this qualitative, multi-sited research focuses on the contribution of members of the Haalpulaar migrant community in Belgium to the process of adaptation to environmental change in rural villages in the Fouta-Toro region (Middle Valley of the Senegal River, northeast Senegal). To do so, we adopt a translocal perspective with an eclectic ethnographic approach focusing on transnational practices and their political dimensions. The translocal practices selected are those that, according to our respondents, improve living conditions in the context of environmental change. Furthermore, these practices reflect the political dimension of transnational relations between international migrants in Belgium and development actors at the village level. In this respect, salient socio-political conditions in their village of origin and in Belgium determine the extent whether international migrants can act as "adaptive agents" for their community of origin. We therefore use a translocal social resilience approach, with an analytic lens informed by Pierre Bourdieu’s Theory of Practice and political ecology. The thesis’ operational framework is articulated in four main steps: 1. An emic perceptions analysis of environmental risks that affect living conditions in the Middle River Valley region. Within the villagers’ vulnerability context to socio-environmental changes, we try to grasp the social representations they have of international migrants, notably their expectations and social demands in relation to these identified environmental hazards. Then, in Dakar, we also analyse the perceptions of environmental risks of internal migrants from the Fouta-Toro region and we assess the social expectations and demands towards the diaspora and the links with the latter in terms of remittance practices towards the village of origin. Finally, in Belgium, we are interested in the socio-environmental perceptions and experiences of Haalpulaar migrants, both before and after their migration project. The emic perceptions approach is used to assess the discourse on practices in the translocal social field of village development.2. An analysis of the major transnational practices of migrants with collective adaptation effects. In order to objectify the extent to which migrants can be considered as 'adaptive agents', we assess how the transnational practices and (political) commitments of these migrants enhance the adaptive capacity and resilience of the community. The assessment is made by examining ex ante slow-onset environmental adaptation practices (longer-term adaptation) and ex post rapid-onset environmental/climatic impacts (shorter-term coping strategies). 3. An analysis of the political dimension of the transfer practices identified as having an effect on adaptation to environmental change. In this context, we are interested in the socio-political dynamics and processes in the translocal field at the village level in Senegal and Belgium. The analysis calls for the involvement of changing power relations by social institutions in these translocal mechanisms (family, enterprises, associations), particularly in collective coping strategies influencing the livelihoods (resources) and living conditions of villagers.4. Finally, we draw up a typology of Haalpulaar migrants in Belgium in relation to their capacity to contribute to coping strategies in their village of origin.The thesis shows that the capacity of migrants to engage in collective adaptation strategies through various remittance translocal practices is strongly limited and constrained by social structure, notably composed of a political dimension. Hence, the improvement of living conditions at collective level beyond the household in the country of origin demands changing power relations through social and political networks. This will lead the international migrants to build their capacities (their ‘capitals’) in multilevel translocal conditions that shape the field of village development and the margin of action of the emigrants. While translocal practices are necessary for the migrants to acquire social recognition and legitimacy, the migrants’ various capitals in the sense of Bourdieu (1986) are constructed in a translocal space, amongst which in the country of origin and destination. These practices allowing for collective adaptation in the village of origin carry significant symbolic and political stakes.