Résumé : La thèse s’emploie à retracer le système complexe de cristallisation des idées autour desquelles se sont montées les opérations urbanistiques et architecturales qui transformèrent le paysage Bruxellois dans l’après-guerre, une transformation qui s’est faite en absence de système formel de planification. Cette absence, combinée à la mise en œuvre d’importants travaux d’infrastructures ferroviaire et routière dans un contexte de boom immobilier, a forgé une perception générale de cette période comme erratique, destructrice et prédatrice.La recherche s’inscrit dans une volonté générale de reconsidération des effets de la transformation Moderne de Bruxelles dans ce qu’ils représentent dans la structure actuelle de l’agglomération (héritage « tangible ») et dans ce qu’ils révèlent des pratiques de conception et de construction de la ville (héritage disciplinaire), se fondant sur un travail de description des formes urbains héritées et de ses conditions d’émergence.Décrire la transformation nécessite avant tout —c’est la première partie de la thèse— de disséquer —pour s’en écarter— le discours sous-jacent à la l’historiographie bruxelloise, dominée par le concept de « bruxellisation », soit le saccage patrimonial et social d’une ville, dans une collusion entre mondes politique et immobilier, en absence de toute publicité ou concertation. A Bruxelles, le rejet de cette période s’allie à une nostalgie de l’art urbain des tracés, dans un ostracisme caractérisé de l’urbanisme Moderne. Dans ce contexte, la recherche propose d’adopter le regard porté par des chercheurs qui depuis une vingtaine d’année, aborde la forme urbaine non plus via l’histoire de la ville mais celle de l’urbanisation.L’hypothèse de recherche est que la transformation moderne de Bruxelles s’opère d’une manière opportuniste, certes, mais bien plus stratégique que ce qui a été considéré jusqu’ici, où acteurs du développement urbain et concepteurs partagent des idées communes quant au futur de la ville, se réunissent autour de questions urbaines bien définies, et construisent des alliances objectives pour réformer progressivement, mais en profondeur et dans son ensemble, le paysage de la capitale. Si la période de transformation Moderne est spécifique par l’ampleur de son impact sur la structure urbaine, dans le contexte modernisation générale du territoire belge et de la distribution spatiale de cet appareil productif, elle illustre par contre une continuité en matière de pratiques d’aménagement, via des instruments de planification éprouvés, bien ancrés dans une culture spécifique belge de fabrication de la ville, qui amène à s’intéresser tout particulièrement au travail des administrateurs territoriaux, et des concepteurs qui les conseillent.La seconde partie de la thèse s’emploie dans ce cadre à démontrer les concordances de vue entre les différentes administrations compétentes pour le dessin du territoire bruxellois, en observant l’action des deux niveaux de pouvoir alors en présence. D’une part, les communes, qui travaillent, de manière singulière mais coordonnée, pour maîtriser la forme urbaine de l’agglomération en développement. D’autre part, l’Administration Nationale de l’Urbanisme, dont l’existence correspond à la période de la transformation Moderne qui développe une réflexion approfondie sur le positionnement et la gestion de la croissance des villes principales sur le territoire belge et se lance, dès sa création en 1945, dans une tentative de coordonner les mutations de Bruxelles. Cet exercice fait l’objet d’un chapitre particulier, consacré à l’expérience singulière, menée par l’Administration de l’Urbanisme et le bureau d’études du Groupe Alpha, de l’esquisse d’un plan à l’échelle de l’agglomération, resté officieux, mais qui se révèle finalement un miroir fidèle des politiques et opérations en cours.L’analyse du travail des administrations fait apparaître une forme de scénario zéro pour l’époque, soit un futur vraisemblable et potentiel du territoire bruxellois de l’après-guerre. La description de ce scénario zéro constitue la troisième et dernière partie de la thèse.Cette description est structurée à partir de la construction et l’analyse de deux figures spatiales qui correspondent autant à une lecture contemporaine de la ville qu’aux idées sous-jacentes aux exercices de planification de l’agglomération bruxelloise dans l’après-guerre. Ces figures rassemblent une constellation d’éléments hétéroclites, des opérations architecturales, infrastructurelles, des plans urbanistiques, des publications, des discours, éléments dont l’agencement révèlent leurs relations, les débats qu’ils génèrent et les idées qui les animent par rapport à la construction d’une métropole capitale moderne. Elles démontrent le consensus autour des modes de fabrication de la ville, les idées partagées relatives à une forme urbaine aérée, verte et fluide, la volonté commune d’adapter l’espace urbain à la mobilité et à l’économie de la Modernité, et à la fois le profond dissensus opérationnel entre ces mêmes acteurs, montrant ainsi toutes les limites d’un système de gestion du territoire dépourvu de coordination générale et de leviers publics de grande échelle, qui ne pourra que générer des réalisations certainement en partie aujourd’hui signifiantes, mais toujours très parcellaires.