Résumé : Cette thèse a été réalisée au sein du Metrolab.brussels – un laboratoire interdisciplinaire et interuniversitaire d’analyse critique et appliquée de la programmation FEDER 2014-2020 (faisant lui-même partie des 46 projets financés par ces fonds européens). En parallèle aux activités collectives et transversales du Metrolab, le travail individuel de la thèse portait sur les logiques et les effets socio-spatiaux du « développement urbain par la culture », à savoir une action politique visant à instrumentaliser la culture dans les stratégies métropolitaines. Ces stratégies de « culture-led Regeneration » émergent dans les années 1980 aux États-Unis en parallèle à la « marchandisation de la culture » et à la « compétitivité interurbaine » croissantes. Ce modèle urbain se matérialise notamment par un investissement public et/ou privé massif dans de grands équipements iconiques – dont le contenant (architecture) importe autant que le contenu (programmation artistique) -, implantés sur d’anciennes friches industrielles et/ou portuaires. Si ce modèle s’est progressivement diffusé en Europe, et dont le Guggenheim à Bilbao reste aujourd’hui l’exemple le plus emblématique, une diversification des formes s’observe depuis le début des années 2000 dans différents contextes métropolitains. Ceci étant dit, cette recherche s’est intéressée à un nouveau type d’équipement culturel, de taille relativement plus modeste, souvent implanté dans des quartiers résidentiels (péri-)centraux en voie de gentrification. Ces derniers ont été qualifiés d’« équipements culturels hybrides » afin de mettre en évidence leur fonctionnement ambivalent caractéristique, visant à la fois le renforcement des politiques de « revitalisation urbaine » à travers l’attractivité engendrée par leurs activités artistiques, mais aussi le renforcement des politiques « d’inclusion sociale » à travers le développement d’activités socioculturelles à destination des habitants des quartiers populaires avoisinants.Ce cadre théorique et spatio-temporel étant établi, l’enquête empirique avait dès lors pour hypothèse l’émergence de tensions sociales et spatiales associées à cette ambivalence dans le fonctionnement de ces « équipements culturels hybrides ». Pour ce faire, six cas d’études – financés de près ou de loin par les différentes programmations FEDER – ont été choisis dans deux communes bruxelloises mobilisant explicitement la culture comme levier de développement de leurs anciennes zones industrielles : le « bas de Forest » (le Centre d’art contemporain WIELS, le Centre culturel BRASS et le futur Pôle culturel ABY) et le « Vieux Molenbeek » (le Gemeenschapscentrum De Vaartkapoen, le Centre d’arts numériques iMAL et le Musée MIMA). L’enquête de terrain a privilégié une combinaison de méthodes qualitatives et longitudinales afin d’interpréter les interactions entre ces équipements et leurs quartiers d’implantation : entretiens semi-directifs, enquêtes par questionnaires des publics, ateliers cartographiques avec des groupes d’habitants, et enfin observations et relevés de terrains des activités culturelles et des transformations urbaines à l’œuvre.Comme l’abondante littérature anglophone sur les stratégies de « culture-led regeneration » le mentionnait déjà au début des années 2000 [Belfiore, 2002 ; Stevenson, 2004 ; Bailey et al., 2004 ; Basset et al., 2005 ; Evans, 2005 ; Sharp et al., 2005], loin des discours iréniques et performatifs des acteurs sur les bienfaits en matière de mixité sociale et de cohésion sociale, des tensions sociales - toutefois plus subtiles - émergent de ce nouveau type de développement urbain par la culture. Dans cette recherche, nous avons plus particulièrement mis avant les effets symboliques de ces équipements culturels hybrides en parallèle aux dynamiques de gentrification. D’une part, le rôle de ces derniers dans la revalorisation symbolique des espaces urbains populaires, en renforçant leur attractivité résidentielle, immobilière et/ou métropolitaine. Et d’autre part, leur rôle dans la pacification et la normalisation sociale de ces quartiers. L’étude empirique nous a finalement amenés à discuter de ces tensions spatiales en termes de classes sociales, en pointant d’un côté la valorisation des usages et visions du quartier des nouveaux résidents issus des classes intermédiaires, et d’un autre côté l’invisibilisation des classes populaires, en particulier leurs ressources sociales et symboliques – pourtant extrêmement précieuses pour s’adapter et résister au quotidien aux logiques d’exclusion et de domination sociales.