Thèse de doctorat
Résumé : Les anomalies chromosomiques sont une cause majeure de morbidité et de mortalité périnatales. Le dépistage de ces affections a toujours été crucial pour une prise en charge optimale des femmes enceintes.Initialement, le dépistage de trisomie 21 était uniquement basé selon le risque lié à l’âge maternel. L’ajout de différents marqueurs biochimiques sériques constituant successivement les double, triple et quadruple tests a pu améliorer le taux de détection. Néanmoins, c’est en 1997 qu’apparaît un point tournant de l’histoire de dépistage des trisomies : l’introduction de la mesure de la clarté nucale à l’échographie du premier trimestre.Depuis 2011, de nouvelles recherches se sont concentrées sur le dépistage prénatal non invasif (DPNI) utilisant l'ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel. Cette technique a suggéré directement une supériorité marquée pour la détection de la trisomie 21 comparée à toutes les autres méthodes de dépistage connues. Rapidement, ce test a été introduit en pratique clinique dans le monde entier sans une évaluation préalable et approfondie, que ce soit au niveau scientifique, technique ou éthique.Les objectifs de cette thèse étaient de fournir des réponses aux diverses questions persistantes concernant l’utilisation clinique des tests de dépistages basés sur ADN fœtal libre dans la circulation maternelle.À notre connaissance, nous sommes la première équipe à essayer d'évaluer le taux d'échec et la performance du DPNI effectué par différents laboratoires utilisant différentes méthodes analytiques. Nous avons démontré que les approches « DANSR » (approche ciblée sur les chromosomes d’intérêt) et « GW-MPS » (approche globale sur les séquences géniques reparties sur la totalité du génome par un séquençage à haut débit) offraient toutes les deux un taux échec bas avec une bonne performance dans la détection des trisomies 21, 13 et 18. Cependant, le niveau de fraction fœtale semble varier d'un laboratoire à l'autre et n’est, par conséquent, pas comparable. Nous avons également observé que le taux d'échec des laboratoires avec un test « home-brew » était 4 fois supérieur à celui des tests commerciaux développés par les laboratoires en interne. De plus, aucune pertinence clinique de la divulgation des aneuploïdies autres que les 3 trisomies communes décelées par les DPNI « GW-MPS » n’a pu être démontrée.Ensuite, nous nous sommes intéressés au groupe particulier des grossesses gémellaires. Dans ce groupe, le DPNI était faisable mais il était associé à un taux d'échec supérieur aux grossesses uniques, tout en fournissant un taux de détection moindre des trisomies communes. Un poids maternel élevé et la conception par fécondation in vitro étaient des facteurs indépendants associés à l’échec du test. De plus, il faut souligner l’importance de développer des normes de contrôle de qualité pour les analyses faites sur l’ADN fœtal libre. Nous avons aussi étudié les modifications de l’ADN fœtal libre après une mort fœtale en raison d’une aneuploïdie chez l’un des deux fœtus lors d’une grossesse gémellaire. Après le décès du fœtus atteint, la fraction fœtale de l’ADN libre circulant dans le sang maternel a montré une évolution imprévisible, pouvant augmenter, diminuer ou rester stable dans le temps. Par conséquent, ces résultats déconseillent l’utilisation du DPNI en cas de décès d’un des deux fœtus, même après un intervalle de temps de plusieurs semaines.Notre attention s’est ensuite portée vers la performance du DPNI pour le dépistage des anomalies autres que les 3 trisomies communes. Nous avons d’abord étudié la performance du DPNI pour les anomalies des chromosomes sexuels ainsi que les caractéristiques des patientes optant pour ce test. Plus de la moitié des patientes ayant eu un DPNI ont également souhaité le dépistage des anomalies des chromosomes sexuels. Les valeurs prédictives positives suivantes ont été observées : 24% pour 45 X et 47 XXX et environ 71% pour 47 XXY et 47 XYY. Ainsi, la recherche d’anomalies des chromosomes sexuels peut causer la détection accidentelle d’anomalies chromosomiques sans conséquence clinique. Par conséquent, un conseil génétique est obligatoire dans toutes ces situations, de même qu’un examen invasif pour un caryotype fœtal de confirmation.Ensuite, nous avons montré que le test à ADN fœtal libre utilisant une technologie ciblée basée sur le microarray permettait d'identifier les grossesses à risque accru de délétions 22q11.2. Cependant, des données fiables sur les performances du DPNI pour le syndrome 22q11.2 sont encore manquantes, et des recherches plus poussées sont nécessaires. Depuis 2015, nous participons à une étude prospective, multicentrique et en aveugle, qui évalue cliniquement un test d’ADN fœtal libre pour la détection de délétions ou de duplications dans la région 22q11. Le recrutement s’est terminé le 1er novembre 2019.Enfin, en décrivant le profil et le choix des patientes belges soumises à un test à ADN fœtal libre, nous avons observé un changement vers une population à faible risque, ce qui peut entrainer une réduction de la valeur prédictive positive du test. Il est donc primordial que cet effet soit connu des professionnels de la santé qui conseillent, prescrivent et interprètent ces tests.En conclusion, notre recherche a démontré la complexité des tests à ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel, non seulement du point de vue technique, mais également en termes de conseils aux patients avant et après le test, ce qui requière des connaissances et compétences spécifiques des médecins proposant ces tests.L’ère du test à ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel n’en est qu’à ses débuts. Notre travail n’a exploré qu’une petite partie de l’énorme potentiel de ce nouvel outil de dépistage des aneuploïdies.L’intégration responsable des innovations dans la pratique clinique reste, aujourd’hui, l’un des défis majeurs.