Résumé : Le paludisme, par sa forte prévalence et morbidité, constitue l'une de principales maladies parasitaires tropicales, particulièrement en RD Congo. Sa thérapie recourt non seulement aux antipaludéens modernes qui, pour la plupart sont sujets des résistances, mais aussi aux plantes médicinales, sources de nombreux antipaludéens efficaces. Ainsi, cette étude a recensé les plantes et les recettes réputées antipaludéennes dans la région de Bukavu et d’Uvira, sélectionné l’une d’elles pour une étude phytochimique et pharmacologique approfondie en vue de mettre en évidence ses potentialités thérapeutiques pouvant permettre le développement potentiel d’un médicament antipaludéen. L’enquête ethnobotanique, menée sous forme d’interview directe auprès de 32 tradipraticiens d’âge moyen 55 ± 13 ans, de sexe ratio homme-femme de 1,7, d’expérience moyenne de métier de 18 ± 8 ans, sélectionnés après un sondage auprès de 192 habitants (62 % de femmes) pris au hasard sur le marché dans chaque localité, a permis de recenser 45 espèces de plantes, appartenant à 41 genres et 21 familles, utilisées pour le traitement du paludisme. Les familles les plus représentées sont les Asteraceae avec 12 espèces (26 %), les Fabaceae avec 7 espèces (16 %) et les Rubiaceae avec 4 espèces (9 %). Ces plantes permettent la préparation de 52 recettes dont 25 recettes multi-herbes et 27 recettes mono-herbes. La majorité de ces recettes sont préparées à partir de feuilles sous forme de décoction et sont administrées par voie orale.Parmi les 23 espèces végétales les plus citées (3 citations au minimum) par les personnes ressources interrogées, 7 plantes ont été encore peu étudiées dans le domaine du paludisme selon la littérature à notre disposition. Les tests antiplasmodiaux in vitro, selon la méthode microscopique de Rickman, réalisés sur les extraits méthanoliques de 7 plantes a permis de sélectionner 4 plantes actives dont Fadogiella stigmatoloba (K.Schum.) Robyns (Rubiaceae ; feuilles : CI50 = 13,6 ± 1,2 µg/mL, n = 3), Hygrophila auriculata (Schumach.) Heine (Acanthaceae ; parties aériennes : CI50 = 7,5 ± 0,2 µg/mL, n = 3), Hylodesmum repandum (Vahl) H.Ohashi &R.R.Mill (Fabaceae ; feuilles : CI50 = 5,4 ± 0,04 µg/mL, fleurs : CI50 = 11,5 ± 1,4 µg/mL, n = 3) et Porphyrostemma chevalieri (O.Hoffm.) Hutch. & Dalziel (Asteraceae ; feuilles : CI50 = 2,9 ± 0,1 µg/mL, n = 3). Le criblage phytochimique préliminaire de ces extraits a révélé la présence des alcaloïdes (particulièrement dans F. stigmatoloba), d’anthocyanes, d’anthraquinones, des flavonoïdes, des coumarines, des saponines, des stéroïdes, des tanins et des terpènes. Après un second criblage antiplasmodial in vitro de ces quatre plantes par la méthode basée sur la pLDH sur deux souches (3D7 et W2) de Plasmodium falciparum, deux plantes intéressantes (H. repandum et P. chevalieri) ont été soumises aux tests antiplasmodiaux in vivo ; seul P. chevalieri a donné des résultats intéressants. Cette plante a été alors sélectionnée pour le fractionnement bioguidé à l’issue duquel deux composés ont été isolés de la fraction méthanolique, dont l’un a été caractérisé comme étant la rutine. Les dosages des flavonoïdes ainsi que l’évaluation de l’activité antioxydante ont également montré que P. chevalieri est plus riche en composés polyphénoliques qui lui confèrent une activité antioxydante supérieure. La quantification de la rutine par HPLC dans l’extrait méthanolique de ses feuilles a révélé une teneur de 0,84 ± 0,01 mg/g d’extrait (n = 3). Ces résultats constituent donc une justification scientifique de l’usage en médecine traditionnelle, à Bukavu et Uvira, de ces plantes, particulièrement Porphyrostemma chevalieri, comme antipaludéennes. L’ensemble des résultats des tests antipaludéens, associés aux tests antioxydants, des feuilles de P. chevalieri et la mise en évidence, non seulement, de la rutine mais d’autres composés comme la quercétine ouvrent la voie vers un possible phytomédicament.