Résumé : La sphaeropsidine A est une phytotoxine fongique extraite du Diplodia cupressi ayant montré des effets anti-cancéreux in vitro à des concentrations de l’ordre du micromolaire. En perturbant l’équilibre ionique, notamment via une inhibition des co-transporteurs Na+, K+, 2Cl- (NKCC-1) et/ou possiblement des échangeurs anioniques de type Cl-/HCO3-, elle provoque une réduction du volume cellulaire et empêche le processus de « regulatory volume increase » qui vise à rétablir l’homéostasie cellulaire lors de l’apoptose. Néanmoins, une étude physico-chimique a montré que la sphaeropsidine A est très peu soluble en milieu aqueux et qu’elle se dégrade rapidement à 37 °C rendant ainsi difficile dans ces conditions, son évaluation in vivo non seulement du point de vue de son efficacité thérapeutique mais aussi de sa toxicité.Au cours de ce travail, nous avons poursuivi l’évaluation de l’activité anti-cancéreuse in vitro de la sphaeropsidine A en envisageant son utilisation en combinaison avec des composés chimiothérapeutiques pro-apoptotiques (le cisplatine et le témozolomide) en vue de contrer les phénomènes de résistance des cellules de mélanomes à ces traitements. Ces travaux sont basés sur une étude publiée par(Algharabil et al., 2012)ayant montré l’intérêt de combiner au témozolomide le bumétanide, un inhibiteur spécifique de NKCC-1 inhibant également le processus de « regulatory volume increase » au sein de gliomes. Pour rationaliser l’approche combinatoire, nous avons utilisé un plan d’expérience factoriel et avons créé un modèle prédictif basé sur le modèle statistique des surfaces de réponses. Ainsi, nous avons pu déterminer les combinaisons capables d’induire un maximum de cytotoxicité sur notre modèle d’intérêt. Les résultats obtenus confirment que la sphaeropsidine A pourrait potentialiser la cytotoxicité induite par le cisplatine et le témozolomide sur les cellules de mélanomes. Ces résultats ont fait l’objet d’une validation des combinaisons prédites sur base du même test que celui utilisé pour créer le modèle, à savoir le test colorimétrique MTT ainsi que sur base d’un test de viabilité au bleu trypan. Ensuite, nous avons tenté d’améliorer la solubilité et la stabilité de la sphaeropsidine A en utilisant deux stratégies: l’utilisation de formulations galéniques et des dérivés hémi-synthétiques. Durant nos essais de formulations galéniques, nous avons pu noter qu’une constante diélectrique du solvant proche de 35 était favorable à sa solubilisation. En milieu aqueux, la solubilité est améliorée à des pH supérieurs à 7 mais elle ne dépasse pas 1 mg/mL en l’absence de diméthylsulfoxyde. Si les complexes avec des cyclodextrines et des cucurbit[N]urils ont permis d’améliorer la solubilité de la sphaeropsidine A, le gain en stabilité s’est avéré très faible. De premières études in vivo de toxicité aigüe suite à l’administration intrapéritonéale de la sphaeropsidine A formulée avec de l’hydroxy-propyl-beta-cyclodextrine ont été conduites et n’ont révélé aucune toxicité jusqu’à des concentrations de 20 mg/kg à part une légère augmentation du volume urinaire. Une étude d’efficacité thérapeutique de la sphaeropsidine A complexée avec des cucurbit[N]urils (pour permetre une administration intraveineuse) n’a pas permis d’améliorer la survie animale comparativement au traitement de référence, le témozolomide, dans un modèle de pseudo-métastases pulmonaires de mélanome. Cependant, l’observation d’une toxicité locale au site d’injection pourrait être liée à l’amélioration de la solubilité du produit. Des formulations sous forme de nanoparticules lipidiques solides ont dès lors été envisagées. Les taux d’encapsulation de ces formulations n’ont néanmoins pas pu être calculés précisément suite aux différentes difficultés méthodologiques. Aussi, ces formulations nécessiteraient de plus amples investigations pour prouver leur efficacité. Ayant étudié en parallèle l’activité d’hémi-dérivés de la sphaeropsidine A synthétisés par nos collaborateurs, nous avons préféré investiguer lors de ce projet sur les effets du dérivé nommé PY-1 qui présente une activité anti-cancéreuse in vitro supérieure à celle de la sphaeropsidine A sur diverses lignées tumorales. Cette augmentation d’activité s’est révélée être associée à d’importantes différences dans les effets morphologiques induits en comparaison à la sphaeropsidine A à des concentrations équipotentes. L’augmentation de la proportion de cellules en phase pré-G1 du cycle cellulaire et la positivité des cellules traitées à l’annexine V suggèrent que ces effets mènent à l’induction de l’apoptose via une activation des caspases-3 et des caspases-8 ou -9 dans certains modèles uniquement. La sphaeropsidine A, quant à elle, altère davantage les mitochondries. Une mort cellulaire apoptotique semble néanmoins aussi s’ensuivre suite au traitement de la sphaeropsidine A. Cependant, encore une fois, l’activation des caspases est lignée-dépendante. Les différences observées entre les deux produits pourraient être liées à des modifications de pénétration et de distribution cellulaire entre les composés. Si aucune information sur ces paramètres n’a pu être mise en évidence en ce qui concerne la sphaeropsidine A, nous avons montré que le PY-1 présente une internalisation concentration et temps-dépendante au sein des cellules.En conclusion, nos études confirment l’intérêt potentiel de la sphaeropsidine A d’une part mais également de ses dérivés pour combattre des cancers agressifs tels que les mélanomes sur base d’essais in vitro. Parmi les nombreuses perspectives et études à mener sur ces composés, il sera important de pouvoir contourner les limitations que ces molécules présentent en termes de solubilité et de stabilité pour poursuivre leur évaluation toxicologique et thérapeutique dans des modèles animaux.