Résumé : Cette thèse développe le concept de Travail Domestique de Mobilité (TDM) pour analyser les déplacements quotidiens de travailleuses vivant avec de jeunes enfants. Statistiquement, il s’agit d’un groupe social qui assume au quotidien un nombre important de trajets en lien avec la sphère domestique et familiale (accompagnement scolaire, courses alimentaires, visites médicales avec des membres de la famille…). Or, les enquêtes de mobilité tendent à dissimuler le poids de l’ensemble de ces trajets, en les diluant dans une multitude de motifs de déplacement sans lien apparent, ce qui participe à leur invisibilisation comme problématique cohérente. Renouant avec les auteur-e-s ayant entamé une réflexion en ce sens, le TDM vise à saisir conceptuellement tous les déplacements en lien avec la sphère domestique et familiale, permettant ainsi de mieux comprendre ses logiques genrées et de visibiliser les tensions spatio-temporelles qui naissent de l’ensemble de ces trajets.Avec 45 entretiens semi-directifs à l’appui, menés avec des mères travailleuses à Bruxelles, cette thèse situe les pratiques, réflexions et vécus de ces femmes au cœur de son analyse. Leurs témoignages permettent notamment de caractériser le travail de mobilité qu’elles fournissent. Il s’agit à la fois d’un important travail logistique qui demande de mettre en cohérence sur le plan spatio-temporel des sphères de vie non-coordonnées, et d’un travail de transport, qui suppose une condition physique particulière dans l’espace public, impliquant en même temps un effort de surveillance et de soins quand des enfants sont accompagnés. La division du travail au sein du ménage, c’est-à-dire la répartition des trajets entre le père et la mère, met en lumière les logiques genrées qui amènent les femmes à assumer « leur part » de TDM. La dimension émotionnelle (notamment celle liée à l’accompagnement) montre à quel point ces trajets mettent en jeu leur identité maternelle. Même si dans les ménages en couple les trajets sont le plus souvent partagés, il apparaît que la responsabilité ultime pour la logistique familiale repose sur les mères. La composition de l’échantillon, volontairement diversifié en termes de profils socioprofessionnels, vise en outre à connaître comment des femmes de classes sociales différentes assument cette mobilité. Leur degré de maîtrise sur leur infrastructure du quotidien, tant dans ses aspects spatiaux que temporels, et leur accès aux (et dépendance des) différents modes de déplacement – qui deviennent leurs « outils de travail » – mettent en exergue que le TDM touche non seulement aux rapports de genre, mais qu’il s’insère tout autant dans les hiérarchies spatiales et temporelles de Bruxelles. Pour réduire leur charge de travail, les enquêtées font appel à plusieurs types de réseaux sociaux qui suivent des logiques de solidarité différentes. Certaines enquêtées ont la capacité à déléguer le TDM à d’autres travailleuses à leur service, et mettent en lumière comment cette mobilité genrée s’imbrique avec des rapports de classe.Ainsi, le TDM constitue un outil analytique qui offre un nouveau regard sur cette mobilité entrecroisée de plusieurs rapports sociaux. Il attire l’attention sur les difficultés qui naissent d’organisations spatio-temporelles et d’aménagements d’espaces marginalisant cette forme de mobilité, et invite à imaginer différentes manières d’intégrer cette problématique dans les politiques d’aménagement et de mobilité. En conceptualisant cette mobilité comme une forme de travail, le TDM met aussi en lumière sa fonction sociale et son imbrication avec divers rapports de pouvoir, contrairement aux conceptions individualisées des déplacements quotidiens.