Travail de recherche/Working paper
Résumé : La matière empirique (issue du terrain) que je mobilise dans le contexte de cet article concerne un seul projet : des locaux pour un centre d’éducation à l’environnement, construits en blocs de terre comprimée et chanvre-chaux, dans un hangar existant sur le domaine d’un ancien fort aux alentours d’Anvers. En particulier, je voudrais partir de la manière dont les architectes présentent ce projet (et d’autres) au travers de maquettes dans le cadre d’une exposition, pour ensuite remonter à diverses scènes auxquelles j’ai assisté au cours de la construction. L’aspect que je voudrais aborder dans cet article est le rôle du matériau de construction dans la réalisation du bâtiment en question, la manière dont les architectes s’y confrontent, et la part qu’ils prennent dans la négociation. J’élaborerai, à partir des maquettes proposées par les architectes, sur un problème posé par le philosophe des techniques Gilbert Simondon concernant le modèle hylémorphique, qui tend à valoriser la forme au détriment de la matière, considérée comme passive (et secondaire). La mise en cause de ce modèle, au travers d’une reconnaissance de l’active participation de la matière au processus de prise de forme, constitue selon moi un pas important dans la description de la conception architecturale comme une négociation avec la matière, plutôt que l’imposition d’une forme sur (et parfois malgré) celle-ci. Les matériaux avec lesquels les architectes observés sont en prise sont particulièrement récalcitrants : la terre crue et le chanvre-chaux réagissent aux conditions environnantes, et leur active transformation s’étale sur un temps long. Leur usage n’étant pas encore normé et stabilisé, l’approche des architectes est nécessairement expérimentale et requière d’autant plus d’attention et de réactivité. Suivre les tractations des architectes avec la matière au cours du chantier est donc une manière d’interroger la prédominance de la forme dans cette pratique (et dans notre culture), d’envisager des rapports plus symétriques avec elle et, pas ce biais, de spéculer sur les formes d’engagement que cela implique.