Résumé : Le peintre Francisco Rizi (Madrid, 1614-Madrid, 1685), issu de la communauté d’artistes italiens qui gravitait autour de la Cour d’Espagne depuis la construction de l’Escorial, est l’une des figures majeures de la peinture baroque espagnole de la seconde moitié du XVIIe siècle. Cette thèse présente uné étude monographique qui étudie sa carrière et ses liens sociaux et professionnelles, étude accompagnée d'un premier catalogue raisonné de son œuvre. Malgré le fait que Francisco Rizi ait été le peintre attitré d’une Cour dont le souverain était à la tête d’une constellation d’états européens, où on était au courant des principaux courants artistiques du continent, sa vie et son œuvre ont été souvent analysés dans une approche très localiste. Par conséquent, l’image traditionnellement véhiculée a été celle d’un artiste de second rang qui n’eut guère de portée. Mais contrairement à cette idée reçue, la carrière de Francisco Rizi fut loin de se cantonner à un cadre local. Avec cette étude, on redécouvre un artiste inventeur de modèles de sculptures, d’architectures, de scènes de théâtre et même de pièces d’orfèvrerie. On révèle là un plaisir de la forme qui apparente Rizi à des artistes baroques tels que Rubens, Bernin ou Le Brun. Pourtant, dans son cas, aucun mythe ne s’était forgé. Bien au contraire, ses contributions en architecture et en sculpture lui valurent une véritable diabolisation. Dans ces domaines, l’artiste fut condamné par la critique néo-classique comme responsable de la décadence des arts en Espagne sous le règne de Charles II, mépris qui finit par déteindre sur son œuvre peinte. D’un autre côté, ses contributions pour le théâtre ne laissèrent aucune trace et tombèrent dans l’oubli. Notre contribution permet de confirmer que Rizi joua un rôle majeur dans les domaines de l’architecture décorative, dévoile tout à fait son rôle dans la conception de modèles pour la sculpture et permet de détailler pour la première fois les modalités de la confection des décors de théâtre. De toutes ces interventions, restées pour la plupart inédites, s’offre ici un premier corpus.Par ailleurs, cette thèse a mis l’accent sur les relations professionnelles du peintre et sur ses modes de production, sans pour autant négliger l’étude stylistique de sa production picturale et de ses dessins, ainsi que des rares gravures d’après ses compositions. Le catalogue de ses œuvres, expurgés de celles indûment attribuées au maître et augmenté de nombreux inédits, permet désormais une perception plus juste de l’art de Rizi. Toutefois, il faut reconnaître qu’à ce stade de la connaissance de l’artiste, ce catalogue ne peut inclure que les œuvres dûment attestées par la documentation connue à ce jour, ainsi que celles présentant sans équivoque le style typique du peintre. Des futures recherches devront élargir ce catalogue aux éventuels dessins présentant des ébauches et des études partielles encore non identifiés, ainsi qu’aux œuvres réalisées en collaboration avec d’autres artistes. Par ailleurs, les résultats de cette recherche permettront de faire surgir très certainement, on l’espère, des œuvres nouvelles à présent dispersées et inédites. Certains pans de l’œuvre de Rizi ont été redécouverts. C’est le cas notamment de son œuvre comme architecte et comme décorateur de fêtes théâtrales de la cour. Mais il est ainsi également de sa production de peintre murale, dont on connaît mieux à présent ses contributions et son organisation. Ces aspects permettent de nuancer la vision qu’on avait jusqu’à présent de l’artiste, dévoilant un rôle de premier ordre sur la scène artistique à Madrid pendant la seconde moitié du XVIIe siècle, presque incontournable dans les chantiers les plus prestigieux de la Cour. Rizi ne fut pas un peintre exclusivement religieux, comme les œuvres aujourd’hui conservées ont pu le suggérer. Longtemps resté méconnu et incompris, Rizi ne réussit pas seulement à devenir l’un des artistes les plus importants de son temps à travers une carrière brillante comme peintre de cour, mais également dans l’influence qu’il a eu sur son atelier, sur ses collègues et sur les artistes plus jeunes.Notre étude sur Rizi, cependant, ne s’est pas cantonnée à la confection du catalogue raisonné. Elle a également mis l’accent sur la relecture et l’analyse des sources positives et une étude prosopographique de l’entourage de l’artiste (dans la mesure où l’état de la question nous l’a permis). L’étude du milieu d’origine a permis de mettre en lumière que Rizi fut un héritier. Certes, il était le dernier représentant de toute une tradition artistique et le dernier bénéficiaire d’une stratégie du groupe socio-professionnel de l’ancienne colonie d’artistes de l’Escorial. Son père, le peintre Antonio Ricci, bien que peintre de second, voir troisième rang, abritait des grandes ambitions pour sa propre carrière et pour celle de ses fils. Ses relations dans les milieux des courtisans, notamment parmi les Italiens, ses affaires et ses projets variés à Madrid invitent à le confirmer. Dans le cadre d’une stratégie certainement bien réfléchie, Antonio plaça ses enfants chez deux maîtres peintres très en vue à la Cour, tous les deux d’origine et éducation italiennes. Juan Andrés a été placé chez le Père Mayno, maître de dessin du Roi, et Francisco chez Carducho, peintre du Roi à la tête de l’atelier le plus important de Madrid. Fortuné et influent, peintre érudit par excellence, Carducho était haut placé au sein de l’élite artistique et littéraire. Il transmit à Francisco l’héritage de la tradition académique du peintre inventeur cristallisé dans la Péninsule autour du chantier de l’Escorial, qui y joua un rôle comparable de celui de Fontainebleau dans le contexte français, et de l’éphémère Academia de San Lucas à Madrid. Mais l’héritage légué à Francisco par Antonio Ricci et par Vicente Carducho ne fut pas seulement d’ordre théorique et artistique. Il consista également en des relations socio-professionnelles dans le milieu des peintres, sculpteurs et architectes qui se révélèrent capitales dans la carrière de Rizi, mais aussi des relations dans les échelons de l’administration du Palais et dans les cercles ecclésiastiques et aristocratiques.La mort de son père et de Carducho en 1635 et 1638, alors que Rizi (à ce que l’on croit) n’avait pas encore démarré sa carrière en tant que maître indépendant, ne lui fit pas de tort ; bien au contraire. Ceci l’obligea, probablement, à offrir ses services dans d’autres ateliers, favorisant aussi, vraisemblablement, cette inventivité et cette capacité d’adaptation que nous avons signalées comme caractéristiques de l’œuvre de Rizi, caractéristiques qu’une formation dans un seul atelier dirigé par un seul et même maître aurait pu étouffer, éventuellement. Ses expériences dans des ateliers en compagnie de Pedro de la Torre, Francisco Fernández, Núñez del Valle et Antonio de Pereda (et peut-être aussi Cosimo Lotti) ont dû donner à Rizi l’opportunité d’enrichir et contraster son enseignement auprès de son père et de Carducho, et de ne retenir que ce qui pouvait lui être utile dans la suite de sa carrière. Mais surtout, Rizi put compléter son savoir-faire en matière d’organisation et de production à plusieurs mains, un aspect dans lequel il passera maître. Les dessins et la confection de modèles pour des tiers constituent un pan essentiel de sa production, négligé auparavant, et que notre étude a permis de mettre en lumière.Les relations tissées grâce à ses origines ouvrirent à Rizi les portes pour recevoir des commandes au Palais, et l’introduire dans les cercles du cardinal Moscoso et l’inquisiteur général Arce y Reinoso et du premier ministre Don Luis de Haro. Ainsi, les deux prélats devinrent ses protecteurs au début de sa carrière palatine. Il devint leur « créature », selon le langage de la cour. En effet, Rizi sut tirer profit des bouleversements produits à la Cour d’Espagne pendant les années qui suivirent la chute du ministre Olivares, à la différence d’un Alonso Cano ou d’un Antonio de Pereda. Dès la fin de 1648, à partir du mariage de Philippe IV avec Marianne d’Autriche, les commandes du Palais se succéderont, avec le seul malentendu produit pendant la Régence, en raison de la crise politique vécue alors. Sur la fin de sa carrière, les soutiens du cardinal Aragón, du prince Juan José d’Autriche et du jeune Charles II viendront confirmer sa place de choix à la Cour, et des commandes de prestige se suivirent.Les sources auxquelles Rizi s’est abreuvé dans son art sont multiples et variées. Il a hérité de son maître Carducho la maîtrise de la grande composition dans les tableaux d’histoire, à la laquelle il a su ensuite ajouter le dynamisme et la théâtralité du rubénisme. Ensuite et en parallèle, il s’est essayé dans l’introduction de la mode néo-vénitienne en Espagne, prenant principalement les modèles du Tintoret comme référence, pour devenir ensuite l’initiateur de l’intégration des nouveautés de Pietro de Cortona et de Carlo Maratti provenant de Rome, celles de Agostino Mitelli et de Michelangelo Colonna de Bologne et celles de Luca Giordano de Naples. Ces influences le situèrent à l’avant-garde de la production de grandes décorations et de tableaux d’autel monumentaux et lui permirent d’exercer une influence durable sur les peintres plus jeunes, même après sa mort. On en jugera à travers l’imposant Martyre de saint Gênes d’Arles et du décor de San Antonio de los Alemanes, qui s’inscrivent au rang de ses chefs-d’œuvre. L’œuvre de Rizi représente à lui seul l’évolution de la peinture d’histoire baroque à la cour d’Espagne, passant du style sage et monumental héritier de l’école toscane, au rubénisme plus mouvementé, au néo-vénétianisme plus chatoyant et décoratif, aux effets de la quadratura pour finir sur les grandes compositions peuplées de personnages et sagement agencées qui triompheront à la fin du siècle et prépareront l’arrivée à Madrid de Giordano. L’ardeur avec lequel ses collègues, ses élèves et ses suiveurs ont assimilé et perpétué l’une ou l’autre de ces tendances, voire plusieurs, ont contribué à conférer à la peinture du Baroque plein réalisée à Madrid l’homogénéité et la haute qualité qui la caractérisent.