Résumé : Cette thèse analyse l’institutionnalisation du Haut représentant de l’UE dans les négociations sur le programme nucléaire iranien entre 2003 et 2015. Si au départ le rôle qu’occupe le Haut représentant dans le dossier iranien est codifié dans les traités européens, à partir de 2006, ce sont notamment les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui le définissent. Ainsi mandaté par deux groupes d’acteurs distincts – les acteurs institutionnels de l’UE et les six puissances impliquées dans les négociations avec l’Iran – le diplomate en chef de l’UE est amené à endosser deux rôles contradictoires, celui du Haut représentant de l’UE et celui du Haut représentant des E3+3.En combinant la sociologie de l’UE avec la sociologie des RI, cette thèse interroge les dynamiques qui ont amené le Haut représentant à être reconnu comme légitime par l’ensemble des acteurs de la configuration du dossier nucléaire iranien. À partir de ce questionnement, ce travail propose un cadre d’analyse pour étudier l’institutionnalisation de l’Europe de la politique étrangère.La littérature sur l’institutionnalisation de l’action extérieure commune est divisée entre des travaux qui s’intéressent aux interactions entre des acteurs européens, d’un côté, et des travaux qui étudient l’institutionnalisation de l’UE sur la scène internationale, de l’autre. Ainsi, ils omettent que la construction de l’action extérieure commune est le produit de l’enchevêtrement des dynamiques globales et européennes. Cette thèse surmonte ce clivage en ce qu’elle met l’enjeu des dimensions interne et externe de l’institutionnalisation de l’UE au cœur de l’analyse. En m’appuyant sur l’hypothèse de la différenciation des espaces sociaux, je prendrai en compte les logiques distinctes structurant l’arène globale de la négociation nucléaire et l’arène de la PESC, tout en les appréhendant comme des arènes enchevêtrées. L’enquête empirique qui s’appuie sur des entretiens et des archives, met en exergue que le Haut représentant s’autonomise davantage de ses obligations du Haut représentant de l’UE pour endosser exclusivement le rôle de Haut représentant des E3+3. En outre, l’institutionnalisation de ces rôles est le produit d’une multitude d’interactions individuelles au sein et à l’intersection des espaces sociaux européens et globaux.À partir de l’analyse de l’institutionnalisation du rôle du Haut représentant dans le dossier nucléaire et en s’inspirant de la sociologie de Michel Dobry, ce travail permet de concevoir la variation de l’emprise des différents espaces sociaux sur l’institutionnalisation de l’action extérieure commune. Plutôt que de privilégier l’analyse d’une dimension sur l’autre, il est nécessaire de saisir la trajectoire de leur rapport afin d’appréhender le caractère aléatoire de la construction de l’Europe de la politique étrangère dans toute sa complexité. Au-delà de cela, l’étude de cas questionne l’idée de l’institutionnalisation de l’UE en tant que processus d’intégration. En effet, l’inscription de l’UE dans l’espace global de la diplomatie internationale nous permet de voir qu’il s’agit aussi bien d’une dynamique d’autonomisation, de différenciation et d’exclusion.
This thesis analyses the institutionalisation of the EU High Representative in the negotiations on Iran's nuclear programme between 2003 and 2015. Although initially the role of the High Representative in the Iranian dossier was codified in the European treaties, from 2006 onwards, it was notably the UN Security Council resolutions that defined it. Thus mandated by two distinct groups of actors - the EU's institutional actors and the six powers involved in the negotiations with Iran - the EU's chief diplomat is led to assume two contradictory roles, that of the EU High Representative and that of the E3+3 High Representative.By combining sociology of the EU with sociology of IR, this thesis examines the dynamics that led the High Representative to be recognised as legitimate by all those involved in the configuration of the Iranian nuclear dossier. Based on this guiding question, this work proposes an analytical framework for studying the institutionalisation of Europe's foreign policy.The literature on the institutionalisation of common external action is divided between work that looks at the interactions between European actors, on the one hand, and work that studies the institutionalisation of the EU on the international scene, on the other. Thus this bifurcation in the scholarly literature precludes a vision of European integration as the product of the tangle of global and European dynamics. This thesis overcomes this divide in that it puts the internal and external dimensions of the institutionalisation of the EU at the heart of the analysis. Based on the hypothesis of the differentiation of social spaces, I will take into account the distinct logics structuring the global arena of nuclear negotiation and the arena of the CFSP, while apprehending them as entangled arenas. The empirical survey, which is based on interviews and archives, highlights that the High Representative is becoming more autonomous from his obligations as EU High Representative to assume the role of High Representative of the E3+3. Moreover, the institutionalisation of these roles is the product of a multitude of individual interactions within and at the intersection of European and global social spaces.Based on an analysis of the construction of the role of the High Representative in the nuclear dossier and drawing inspiration from the sociology of Michel Dobry, this work makes it possible to conceive the variation of the influence of various social spaces on the institutionalisation of common external action. Rather than focusing on the analysis of one dimension over the other, it is necessary to grasp the trajectory of their relationship in order to grasp the random nature of the construction of Europe's foreign policy in all its complexity. Beyond this, the case study questions the idea of the institutionalisation of the EU as an integration process. Indeed, the EU's inclusion in the global space of international diplomacy allows us to see that it is also a dynamic of empowerment, differentiation and exclusion.