Résumé : La présente thèse s’intéresse à l’histoire de la forêt tropicale Africaine de la région Guinéo-Congolaise (GC), plus particulièrement à l’histoire de sa fragmentation au niveau de la trouée du Dahomey ou Dahomey Gap (DG). Le DG est un corridor de savanes situé au niveau du sud Bénin et Togo et qui sépare la forêt GC en deux blocs : le bloc d’Afrique de l’ouest (WA) ou Haut Guinéen (UG) et le bloc d’Afrique centrale (CA), phytogéographiquement constitué du Bas Guinéen (LG) à l’ouest et du Congolais (C) à l’est. En effet, Les études de reconstitution des paléo-végétations dans le DG ont révélé que la forêt GC formait un seul bloc durant certaines phases interglaciaires et aurait subi une fragmentation durant les phases glaciaires. De plus, les études botaniques et phytogéographiques de la végétation actuelle du Bénin et du Togo (DG) ont révélé la présence d’îlots de forêts denses semi-décidues, de galeries forestières et de forêts riveraines qui contiennent des espèces typiques des forêts denses humides GC. Ces données pointent le rôle de barrière intermittente joué par le DG, mais on connaît mal l’origine de ces espèces GC du Dahomey Gap ni les conséquences évolutives des changements démographiques passés sur la diversité génétique de leurs populations. L’objectif principal de cette thèse est donc de déterminer avec une approche pluridisciplinaire l’origine des populations d’espèces GC du Dahomey Gap en vue de mieux comprendre l’histoire de la fragmentation de la forêt GC au niveau du DG et l’impact des changements climatiques passés sur la diversité intraspécifique. Pour atteindre cet objectif, au niveau interspécifique, (1) les patrons de diversité et de distribution géographique des espèces GC du DG ont été analysés afin de déterminer l’affinité ou origine WA et/ou CA de ces espèces. Ensuite, au niveau intraspécifique des données de microsatellites nucléaires et de génome chloroplastique entier ont été acquises afin de réaliser des analyses de diversité génétique, de phylogéographie et de l’histoire démographique des populations chez trois espèces d’arbres GC présentes dans le DG : Anthonotha macrophylla, Distemonanthus benthamianus et Terminalia superba. Pour chaque espèce nous avons tenté de déterminer (2) si les populations du DG de ces espèces se distinguent génétiquement des populations forestières, (3) si il y a des signatures génétiques de changements démographiques au sein des populations (changement de taille, fragmentation, fusion), (4) quelle est l’origine et la période d’installation des populations actuelles du DG et (5) quelles sont les capacités de dispersion des gènes et leur potentiel de colonisation. L’étude des patrons de diversité et de distribution géographique de la flore GC du DG montre que cette flore est partagée à 67 % par les deux blocs forestiers, mais qu’une plus grande proportion de ces espèces a une origine ou affinité CA (19,7%) que WA (13,3%). Elle montre aussi un patron est-ouest attendu (proportion d’espèces WA croissante vers l’ouest du DG), mais aussi nord-sud au niveau du Bénin (plus d’espèces WA vers le nord) suggérant le rôle potentiel de la chaîne de l’Atacora dans la colonisation du nord du DG par des espèces du UG.Au niveau génétique, les données de microsatellites nucléaires et de plastome montrent une forte structure génétique et une discontinuité génétique au sein des trois espèces séparant la population du DG avec celles des zones forestières indiquant une barrière passée au flux de gènes (1 pool génétique dans le DG, 1 pool génétique dans le WA et 3 pools génétiques dans le CA ou LG ; avec les données microsatellites nucléaires). Les inférences démographiques sur base des mêmes données microsatellites soutiennent le scénario d’origine par mélange de la population du DG pour les espèces D. benthamianus et T. superba tandis que pour A. macrophylla, c’est plutôt une origine CA. Les données de plastome quant à elles, soutiennent que la population du DG provient de la lignée LG (notamment depuis la ligne volcanique du Cameroun) des deux espèces D. benthamianus et A. macrophylla. Ce résultat concorde avec celui obtenu avec les données microsatellites de A. macrophylla mais pas pour D. benthamianus, laissant ainsi penser que l’origine de mélange obtenu pour cette espèce pourrait être due à un flux de gènes intense depuis le UG. Les datations à partir des données microsatellites nucléaires montrent que l’installation des populations des espèces T. superba et A. macrophylla date d’avant le Dernier maximum glaciaire (DMG), suggérant que certaines espèces GC du DG auraient survécu au DMG. Pour D. benthamianus, la population du DG proviendrait plutôt d’une colonisation post glaciaire notamment lors de l’Holocène humide. Cette étude montre aussi que les populations du DG des différentes espèces présentent une faible diversité génétique comparativement aux zones forestières. Cette faible diversité génétique est congruente avec le déclin de la taille efficace suivi d’une dérive génétique pour A. macrophylla et T. superba, et avec l’effet de fondation ou un goulot d’étranglement suivi d’une dérive génétique pour D. benthamianus; obtenus à partir des analyses démographiques.En conclusion, cette étude doctorale révèle donc la particularité génétique de la population du DG des trois modèles étudiés et supportent une origine LG (probablement depuis la ligne volcanique du Cameroun) de la population du DG de ces espèces avec un flux de gènes intense depuis le UG. Elle pointe aussi que la réponse des espèces GC du DG aux changements climatiques passées pourrait n’avoir pas été synchrone, probablement en raison de l’écologie de chacune des espèces. Les fragments forestiers du DG devraient faire l’objet d’attention particulière de conservation car, il n’est pas exclu que malgré leur faible diversité, les populations du DG aient subit une sélection génétique et qu’elles soient plus adaptées aux conditions climatiques sèches du DG, dans quel cas elles représentent une ressource phytogénétique potentiellement importante.