Résumé : En Belgique, depuis le début des années 2000, sous l’impulsion de la politique communautaire et dans le contexte de la promotion du « vieillissement actif », le maintien en emploi des « travailleurs âgés » est devenu un objet de politique publique. On observe alors les traits d’une nouvelle gestion publique en faveur de la prolongation des carrières : discours, indicateurs, dispositifs, etc. Diverses réformes du système des retraites et du marché du travail sont à l’œuvre, dressant les contours d’un cadre institutionnel jouant sur l’offre de travail mais aussi sur la demande de travail, se voulant davantage favorable à l’activité des « travailleurs âgés ». Si le Pacte des générations (2005) incarne une nouvelle orientation en faveur de la prolongation des carrières, certains dispositifs lui sont antérieurs et poursuivent le même objectif : soit inciter les « travailleurs âgés » à poursuivre le travail, soit encourager les employeurs à les maintenir en emploi ou à en embaucher. C’est le cas notamment du Fonds de l’expérience professionnelle (FEP) qui subventionne les entreprises du secteur privé pour des projets visant l’amélioration des conditions de travail des travailleurs âgés de 45 ans et plus. Dispositif public fédéral de 2004 à 2014, le FEP relève, depuis, de la compétence régionale. L’approche du FEP, envisagée à partir du cadre analytique de l’instrumentation d’action publique et l’étude empirique de 175 descriptifs de projets rédigés par des entreprises wallonnes entre 2007 et avril 2010, montre qu’il ne se réduit pas à un artefact technique et réglementaire structurant des schèmes de comportements attendus, mais qu’il génère des effets propres et originaux. Plus spécifiquement, l’étude de la mise en œuvre du dispositif fait émerger deux résultats principaux. Premièrement, si les actions, telles qu’elles sont énoncées dans les textes introduits auprès de l’administration, peuvent être appréhendées en regard de certaines variables à notre disposition (secteur d’activités, contexte organisationnel, taille de l’entreprise, emploi féminin, etc.), elles peuvent également être analysées en perspective du degré d’engagement des entreprises et distinguées selon leur orientation (pratiques/politiques) et leur nature (préventive/curative). Le croisement de ces critères conduit à proposer une typologie des usages du dispositif du FEP. Par usage, nous entendons « ce à quoi le dispositif amène les entreprises à réfléchir au sujet du maintien en emploi des "travailleurs âgés" ». La typologie ainsi proposée distingue un usage « instrumental », « opportuniste », « gestionnaire » et « visionnaire » du dispositif de la part des entreprises. Deuxièmement, les contours fluctuants du cadre légal et la « souplesse » d’examen des projets permettent des accommodements réciproques et autorisent des réappropriations mutuelles du dispositif. Les acteurs confrontés au dispositif (agents de l’administration publique et représentants des entreprises) sont alors en mesure de développer des stratégies d’aménagement, de contournement et d’arrangement autour de la problématique du maintien en emploi des « travailleurs âgés » et de la question des conditions de travail. In fine, cette situation aboutit à des « aller-retour » et à des stratégies de négociations entre les acteurs, en vue de dégager un consensus à propos d’un « projet subventionnable ». Une conclusion générale ouvre la voie à une compréhension plus fine des tensions et des enjeux sociaux et politiques que pose la question spécifique de l’emploi des « travailleurs âgés ». Dans sa forme circulante, le dispositif du FEP contribue à la circulation des idées qui sont celles des pouvoirs publics en faveur de la prolongation de l’emploi de travailleurs définis comme « âgés », en fonction de seuils conventionnels (45 ans et plus dans notre cas). Dans sa forme inscrite, le dispositif amène les entreprises à déclarer des intentions et à décrire des actions, susceptibles d’améliorer les conditions de travail de salariés âgés, définis alors par l’entreprise comme une ressource, soit compétente, soit expérimentée, soit à ménager, soit à valoriser.In Belgium, since the early 2000s, keeping older workers at work became a priority for public policies, driven by both communitarian policies and the supra-national context of the so-called « active ageing ». A new management of public policies was observed focusing on the extension of the professional careers through rhetoric, indicators, public arrangements, etc. Several reforms of the pension system and of the labour market have been implemented, framing a new institutional background, dealing with the labour supply but also with the labour demand, and promoting the professional activity of the “older workers”. The « Pacte des générations » (2005) is typical of this new perspective favouring extending working lives but several other arrangements appeared beforehand, with the same purpose: either encouraging older workers to work longer or encouraging employers to keep older workers at work or hiring them. This is the case, for instance, of the « Fonds de l’expérience professionelle » (FEP) funding private companies for projects aiming at improving working conditions of the older workers aged 45 and over. The FEP was a federal feature from 2004 to 2014 and became, since 2014, a regional responsibility. The study of the FEP is based on the analytical framework of the instrumentation of public action. The empirical investigation of 175 projects implemented in Wallonian companies between 2007 and 2010 shows that it is not only a structural and regulatory artefact producing expected behaviours but it is also produces specific effects. More specifically, studying the implementation of such an arrangement show two main results. Firstly, if what is mentioned in the original arrangements submitted to the administration can be examined looking at certain available variables such as the sector of activity, the organizational context, the company size, female work, etc., it can also be analyzed looking at the degree of commitment of companies and being distinguished based on the orientation (practical/political) and the nature (preventive/curative). Crossing these criteria leads to suggest a typology of the uses of FEP arrangements. By “use”, we mean “towards what the arrangement leads companies to think about extending the working life of the ‘older workers’”. The typology aims at distinguishing different uses of the FEP by companies whether it is “instrumental”, “opportunist”, “managerial” or “visionary”. Secondly, the changing nature of the legal framework and the “softness” of the evaluation of the projects leads to mutual arrangements. Agents involved in the arrangements (members of the public administration and companies) are therefore able to set up adjustments, bypasses, and dispositions about the issue of keeping older workers in employment and their working conditions. This situation leads to a ‘round trip’ and to strategies of negotiations between agents with the purpose of finding a consensus about what is considered as a “fundable project”. The conclusion opens the way to a better understanding of the social and political issues and tensions raised by the specific questions of older workers’ employment. In its “circulating form”, the FEP contributes to the movement of ideas, i.e. extending working the working lives of workers considered as older based on a conventional threshold (45 and over in this case). In its “written from”, the FEP leads companies to state their intention and to describe actions aiming at, potentially, improving the working conditions of the older workers, defined by the company as a resource, either competent, experienced, that should be protected or valorized.