Résumé : English :Between 1870 and 1930, medicine on the heels of the Pastorian revolution underwent profound changes while the hospital – a charitable institution traditionally dedicated to the care of the poor – was fast becoming one of the central sites of Western health care. Yet, it was still decades away from the advent of "patient rights" and the rise to prominence of the ethics of patient autonomy. What moral culture, then, prevailed inside hospitals and shaped the encounter between patients and health care professionals? What logics underlay interactions between the former and the latter? These are the questions that this thesis aims to answer. Drawing from the archives of two public hospitals in Brussels as well as from a series of deontological, literary, religious and jurisprudential sources, this work sits at the intersection of the social history of medicine, the history of authoritarian institutions, the history of patients and the history of medical ethics. It offers an examination of therapeutics interactions that primarily focuses on the day-to-day practices of various groups of historical actors (patients, doctors, interns, catholic nuns, priests, administrators, etc.). With an eye on the larger social context, it attempts to give a new historical depth to topics borrowed from the field of medical ethics, such as medical authority, care relationships, experimentation, religious healing, truth and benevolent lies, etc. By mining a rich collection of letters written by patients and their family members to the hospital administration, this thesis also sheds light on the views and actions of hospital users. Ultimately, it reveals the hospital as structured by a complex moral economy that is the expression of the deep paternalistic outlook of western societies. In this economy, therapeutic interactions rest on an ambiguous system of moral reciprocity that encourages the simultaneous performance of charitable love and social domination, of docility and rebellion.------------Français :Entre 1870 et 1930, la médecine, enrichie par les nouvelles possibilités de l’anesthésie, exultant devant le miracle antiseptique et les promesses de la révolution pastorienne, subit une transformation profonde. L’hôpital public, institution charitable traditionnellement dédiée au soin des populations pauvres, est en passe de devenir un des sites centraux de la thérapeutique occidentale. Pourtant, cette période de formation décisive de la médecine moderne est encore à des décennies de l’avènement des « droits des patients » et de ce bouleversement majeur qui verra, au milieu du 20ème siècle, l’éthique médicale entièrement reformulée autour de la notion d’autonomie du malade. Quelle culture morale prévaut alors à l’intérieur des institutions hospitalières et détermine les formes de la rencontre entre les patients et les soignants? Quels logiques sous-tendent l’agir des premiers et des seconds, dans le cadre de toutes ces activités qui amènent ceux-ci à interagir ensemble ? Ce sont les questions auxquelles cette thèse a l’ambition de répondre. Le contexte hospitalier lui-même est abordé ici comme un révélateur des dynamiques sociales structurant plus largement non seulement la médecine de l’époque, mais aussi les sociétés occidentales avant la Seconde Guerre mondiale.Les archives des hôpitaux bruxellois St-Jean et St-Pierre, supplémentées par une série de sources déontologiques, littéraires, religieuses et jurisprudentielles, constituent le terrain d’étude à partir duquel s’élaborent les propositions nombreuses de cette thèse. L’objet central de celle-ci – les interactions en milieu hospitalier – se situe à la croisée de quatre courants historiographiques : l’histoire sociale de la médecine, le récit interactionniste des institutions autoritaires, l’histoire des patients et l’histoire de l’éthique médicale. Prêtant une attention particulière aux pratiques des acteurs historiques, Guérir, travailler, désobéir se structure autour de six chapitres. Ceux-ci abordent des thématiques aussi variées que l’autorité des acteurs hospitaliers, la communication entre patients et soignants, ou encore la relation soignante. La thèse interroge aussi la dimension « utilitaire » de la rencontre thérapeutique dans un contexte de médecine publique (usage des corps de malades pauvres pour la science, l’enseignement, etc), les pratiques de détournement de l’institution hospitalière par les malades, et la nature du dialogue mettant en lien ces mêmes malades et l’administration hospitalière en cas de plainte. Au final, ce travail de recherche met à jour une économie morale complexe, expression du paternalisme profond des sociétés occidentales, qui fait reposer les interactions thérapeutiques sur un système ambigu de réciprocité morale.