Thèse de doctorat
Résumé :

Note des Bibliothèques : la thèse du Dr Vanderpas a été défendue en 1991 mais il n'est techniquement pas possible d'indiquer cette date dans le logiciel Bictel/e.

Première partie : Fonction thyroïdienne de la naissance à 7 ans chez les enfants d’un essai clinique de supplémentation d’huile iodée versus placebo à la femme enceinte.

L’endémie goitreuse du Nord-Congo (République démocratique, ex-Zaïre) a fait l’objet d’un programme de santé publique de prévention du goitre et du crétinisme dans le cadre du Centre d’Etudes Médicales de l’Université Libre de Bruxelles pour les actions de coopération de 1974 à 1995. Le partenaire congolais était l’Institut de Recherche Scientifique et le Bureau National des Troubles dus à la Carence Iodée.

Le présente travail s’inscrit dans ce contexte et analyse plus particulièrement la fonction thyroïdienne chez l’enfant de zéro à sept ans, dans la continuité d’un suivi d’un essai clinique pharmacologique randomisé et contrôlé (RCT, Randomised Clinical Trial) de phase 2 consistant à administrer une huile iodée (Lipiodol®) à des femmes enceintes se présentant à la maternité de Karawa. Cette cohorte de femmes enceintes a été précédemment étudiée par le Professeur Claude-Hector Thilly*.

Chez les enfants nés de mères non supplémentées en iode, l’histoire fonction thyroïdienne se caractérise comme suit :

  • Une fonction thyroïdienne relativement stable au ours de la première année de vie par rapport aux valeurs de TSH et de T4 sériques du sang de cordon ; les moyennes de ces marqueurs biologiques sont clairement indicateurs d’un niveau de carence iodée par rapport aux normes d’une population d’enfants belges d’âge comparable (T4 sérique abaissée et TSH sérique élevée) ;
  • Une aggravation des altérations de la TSH et de la T4 sériques au cours de la deuxième année de vie, aggravation qui se poursuit jusqu’à la quatrième année ;
  • Un maintien de marqueurs biologiques de TSH et T4 sérique fortement altérés au moins jusqu’à l’âge de 7 ans (étendue d’âge étudiée).
  • Dans cette région, le manioc est connu pour son rôle goitrogène, au travers de son contenu en glucosides cyanogènes, et il avait été précédemment démontré que le thiocyanate élevé des mères passait librement la barrière placentaire. Au cours de la première année de vie, lorsque les nourrissons sont essentiellement alimentés au sein, le thiocyanate sérique diminue fortement et se rapproche de valeurs observées chez des enfants d’autres régions non exposés au manioc. La dégradation de la fonction thyroïdienne au cours de la deuxième année de vie coïncide avec l’introduction du manioc dans l’alimentation. Pour une valeur de concentration urinaire en iode stable au cours des 7 premières années de vie, la prévalence de goitre et les variations de T4 et TSH sériques suivent celles du thiocyanate sérique. Cela est confirmé au travers d’une analyse multi-variée qui met en évidence l’association entre les valeurs moyennes de TSH et T4 et les concentrations urinaires en iode et en thiocyanate.

    L’administration intra-musculaire d’huile iodée prévient les altérations de la fonction thyroïdienne chez la mère (Thilly 1978), et cette protection s’étend chez l’enfant jusqu’à 24 mois, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’allaitement maternel reste le principal apport nutritionnel. Au-delà de 24 mois, des altérations de la fonction thyroïdienne apparaissent chez certains de ces enfants (Elévation de la TSH et abaissement de la T4), et au-delà de 4 ans, la fréquence des altérations de la fonction thyroïdienne est aussi fréquente chez les enfants de mères traitées que chez les enfants de mères non traitées.

    Au vu de la fréquence fort élevée d’altérations de la fonction thyroïdienne entre 4 et 7 ans (2/3 ont une TSH anormalement élevée > 10 mU/L), seuls certains enfants présentent les stigmates d’une hypothyroïdie prolongée depuis le début de l’existence. Il apparaît qu’il y a lieu de distinguer des hypothyroïdies juvéniles de durée, de sévérité, et de timing différents. Si l’hypothyroïdie juvénile est aussi fréquente au-delà de 4 ans dans les deux groupes de l’étude, les stigmates cliniques d’hypothyroïdie persistante sont plus fréquemment observés chez les enfants nés de mères non supplémentées en iode que chez les autres. De plus, la sévérité des stigmates cliniques (degré d’arriération mentale ; importance du retard de développement statural) démontre que l’hypothyroïdie persistante s’est installée plus précocement chez ertains enfants nés de mères non supplémentées en iode que chez les autres. Dans les formes les plus sévères, l’évolution staturale et le niveau d’intelligence de ces enfants avec hypothyroïdie persistante sont compatibles avec le tableau clinique de crétinisme myxédémateux endémique décrits chez le sujet adulte par les Professeurs François Delange et Jacques Dumont.

    Deuxième partie: étude du métabolisme iodé chez les enfants hypothyroïdiens et mise en évidence de la carence combinée en iode et en sélénium.

    Certains enfants hypothyroïdiens le sont depuis longtemps (depuis la naissance, éventuellement), d’autres le sont transitoirement, sans que leur hypothyroïdie passagère ne laisse de séquelles évidentes en termes de retard statural ou d’arriération mentale.

    Ceux qui sont en hypothyroïdie persistante au-delà de 4 ans ont une fonction thyroïdienne altérée : lorsqu’on leur administre de l’iode, leur glande ne répond pas à cette correction de carence iodée, et ils demeurent profondément hypothyroïdiens. Ce phénomène de non réponse à la correction de la carence iodée n’estpas observé chez les enfants hypothyroïdiens plus jeunes : cela démontre qu’il y a, chez certains enfants, une perte progressive de la capacité fonctionnelle de la thyroïde à répondre à la supplémentation iodée. Ces sujets développent le tableau clinique de crétin myxédémateux endémique.

    On constate que l’hypothyroïdie juvénile recouvre un vaste spectre depuis les cas d’hypothyroïdie transitoire jusqu’aux cas d’hypothyroïdie irréversible, même après correction de la carence iodée.

    Sur base d’hypothèse physiopathologique de cette perte de capacité fonctionnelle de la thyroïde chez certains jeunes enfants, il a été proposé qu’une carence combinée en iode et en sélénium pourrait expliquer ce processus. Une telle carence combinée a été décrite dans notre travail dans la région goitreuse du Nord-Congo, et pas dans d’autres régions non goitreuses du même pays ou dans d’autres endémies goitreuses avec peu de crétinisme myxédémateux endémique (Soudan, Sénégal).

    *Thilly Claude-Hector, Delange François, Lagasse Raphael, Bourdoux Pierre, Ramioul L, Berquist Helen, Ermans André-Marie. Fetal hypothyroidism and maternal thyroid status in severe endemic goiter. Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism.