Résumé : Notre travail s'inscrit dans le cadre des télécommunications par fibres optiques où l'information transite sous la forme d'impulsions lumineuses dans le guide d'onde que constitue la fibre. Face à la demande sans cesse croissante en matière de débit d'information transmise dans une fibre, les trains d'impulsions qui véhiculent cette information sont rendus plus denses : les impulsions sont plus brèves et la distance qui les sépare diminue. Cette évolution est freinée par deux aspects qui sont de natures très différentes. Le premier naît du besoin de diriger l'information dans un réseau, ce qui nécessite d'effectuer des opérations logiques et de passer par des dispositifs électroniques qui sont lents à l'échelle de l'optique. Le deuxième aspect consiste en la dispersion de la vitesse de groupe présente dans la fibre. Sous son infiuence, les impulsions ont tendance à s'étaler et peuvent se recouvrir au sein du train, ce qui détruit l'information.

La dispersion peut être contrée par la non-linéarité de la fibre optique. Celle-ci provoque l'effet inverse de la dispersion : une contraction de l'impulsion. Si l'on choisit judicieusement le profil des impulsions, elles peuvent se propager sans déformation grâce à la compensation des deux effets antagonistes que sont la dispersion et la non-linéarité. De telles impulsions sont appelées « solitons ». Ils sont stables et permettent de véhiculer l'information sans la détruire. Malheureusement, la nature non linéaire de leur régime de propagation implique qu'ils modifient le milieu supportant leur propagation au point d'interagir avec leurs voisins et de modifier leur instant d'arrivée en fin de fibre. Cet effet détériore l'information et oblige à espacer les impulsions qui transitent dans la fibre, ce qui limite le débit d'information véhiculée.

Jusqu'à présent, les effets non linéaires dans les fibres optiques ont principalement été étudiés dans une approximation scalaire de la réalité, ce qui ne permet pas de prédire un certain nombre de phénomènes qui font intervenir la polarisation du champ électrique associé à l'impulsion. Un modèle vectoriel permet, entre autres, de décrire les « solitons elliptiques fondamentaux », les « solitons de parois de domaines de polarisation » et les « états liés de solitons vectoriels ».

C'est à ces êtres optiques que nous nous sommes intéressés dans notre travail qui comprend trois grands axes.

Le premier consiste en une étude théorique des états liés de solitons vectoriels. Préalablement à notre étude, ceux-ci se sont révélés instables dans des simulations numériques. Nous avons abordé le problème de manière analytique et montré l'existence d'états liés de solitons vectoriels. Ensuite, nous avons étudié leur dynamique et montré qu'ils sont instables par brisure de symétrie dans les fibres optiques isotropes. Suite à cela, nous avons analysé leur propagation en fibres à biréfringence aléatoire et montré qu'ils y sont stables, ce qui a permis d'expliquer la réussite d'expériences de multiplexage en polarisation dans lesquelles deux impulsions successives du train peuvent être vues comme des états liés.

La formulation mathématique des états liés que nous avons étudiés dans les fibres optiques est analogue à celle des états liés spatiaux qui apparaissent dans les milieux de type Kerr. Cette analogie nous a permis de proposer un principe de commutation, basé sur l'instabilité des états liés par brisure de symétrie, qui présente les avantages de nécessiter une très faible puissance de contrôle et de travailler beaucoup plus rapidement que l'électronique.

Les deux autres axes de notre travail sont liés à l'observation expérimentale des solitons elliptiques parmi lesquels les « solitons de parois de domaines de polarisation » constituent de bons porteurs d'information dans les fibres optiques car, selon les simulations numériques, ils ne souffriraient pas des interactions entre solitons voisins d'un train telles que nous les avons décrites ci-dessus pour les solitons scalaires. Afin d'observer les solitons elliptiques, trois étapes sont nécessaires. D'un point de vue pratique, elles s'agencent comme suit : il faut vérifier qu'il existe des fibres dont l'isotropie soit suffisante pour soutenir leur propagation, puis il faut disposer des instruments qui permettent de les observer et, enfin, il faut les générer. Cette dernière étape mérite une étude complète à elle seule, et nous ne l'avons pas abordée.

Nous avons par contre vérifié la possibilité d'observer des phénomènes qui ne peuvent se produire qu'en fibres isotropes et qui trouvent leur origine dans le même phénomène physique, à savoir, l'interaction entre la dispersion et la non-linéarité vectorielle. En l'occurrence, nous avons effectué la première observation d'une prédiction effectuée il y a trente ans, mais jamais observée jusqu'alors : l'existence de l'« instabilité modulationnelle de polarisation » en fibre optique isotrope. La vérification de toutes les prédictions associées à cette instabilité nous a permis de conclure que le choix d'une fibre de type « spun » associé à des précautions d'utilisation permettra de propager des solitons elliptiques.

Suite à ce succès, nous avons abordé l'étude du dispositif de détection des solitons elliptiques. Pour comprendre sa spécificité, il faut savoir que l'observation des solitons elliptiques nécessite de travailler à des puissances de crête très élevées pour faire ressortir la non-linéarité de la fibre optique. Ces puissances sont atteintes en concentrant une faible énergie sur un temps ultracourt, de l'ordre d'une centaine de femtosecondes. Nous avons développé deux méthodes de mesure basées sur la reconstruction de la phase spectrale de l'impulsion au départ de signaux de battement entre fréquences voisines du spectre. Ces méthodes présentent l'avantage d'être purement linéaires, ce qui leur confère une très grande sensibilité ; et de permettre le calcul simple et sans ambiguïté de la phase spectrale. La première des techniques que nous avons développées est adaptée aux trains ultrarapides d'impulsions courtes et répond à un besoin dans le domaine des télécommunications, tandis que la seconde peut s'appliquer aux bas taux de répétitions et aux impulsions courtes ou ultracourtes.