Résumé : Les ephrines et leurs récepteurs Eph constituent une famille multigénique de facteurs de guidage cellulaire et axonal. Ces facteurs jouent un rôle-clé dans l’établissement de cartes neurales topographiques, notamment au niveau des connexions thalamocorticales, réseau neuronal majeur du cerveau des mammifères.

Notre projet visait initialement à étudier l’implication des ephrines corticales dans la génèse des connexions thalamocorticales par une approche de gain de fonction. Pour ce faire, nous avons généré des souris transgéniques présentant une expression ectopique spécifique de l’ephrine-A5 dans le cortex en développement, en utilisant une technique de transgénèse d’addition par chromosome artificiel de bactéries (BAC).

De façon surprenante, l’analyse de ces souris nous a révélé que les ephrines, à côté de leurs rôles classiques de facteurs de guidage, influençaient la taille du cortex cérébral en régulant l’apoptose des progéniteurs neuronaux. En effet, nous avons pu montrer que l’expression ectopique du ligand ephrine-A5 par les progéniteurs corticaux exprimant son récepteur EphA7 résultait en une déplétion précoce en progéniteurs corticaux par apoptose, et une diminution subséquente de la taille du cortex. Cette vague apoptotique est observée en l’absence de toute altération détectable de la prolifération, la différenciation et la migration neurale dans le cortex.

Nous avons étayé notre étude in vivo par des expériences in vitro, qui ont montré que l’ephrine-A5 recombinante était capable d’induire rapidement la mort des progéniteurs neuronaux dissociés. Nous avons également montré que cette mort cellulaire impliquait l’activation de la caspase-3, confirmant ainsi l’effet direct des ephrines et de leurs récepteurs sur une ou plusieurs cascades apoptotiques. Par contre, la stimulation des neurones post-mitotiques corticaux par l’ephrine-A5 est accompagnée d’une activation de la caspase-3 sans mort cellulaire apparente. La signalisation ephrine/Eph induirait donc l’activation de la caspase-3 dans différents types cellulaires, sans que celle-ci ne soit systématiquement le reflet d’une mort cellulaire programmée.

Parallèlement, afin d’évaluer l’importance physiologique de cette voie pro-apoptotique dépendante des ephrines, nous avons étudié des souris présentant une perte de fonction du récepteur EphA7. L’analyse de ces mutants nous a permis de mettre en évidence une diminution de l’apoptose des progéniteurs corticaux, une augmentation de la taille du cortex, ainsi qu’une hypercroissance exencéphalique de tout le cerveau antérieur dans les cas les plus extrêmes. Ces observations indiquent donc que les ephrines sont nécessaires au contrôle de la mort cellulaire programmée des progéniteurs du cortex cérébral. Nous avons également observé le même phénotype exencéphalique dans des mutants déficients en ephrines-A2, -A3 et -A5, dont l’analyse préliminaire suggère également des défauts de processus apoptotiques.

Nos diverses expériences, combinant une approche par gain et perte de fonction, à la fois in vivo et in vitro, ont ainsi permis de proposer un nouveau rôle des ephrines en marge de leur implication dans la guidance axonale, à savoir un rôle dans le contrôle de la taille cérébrale par induction de l’apoptose des progéniteurs corticaux.

La mise en évidence de cette nouvelle voie de signalisation pro-apoptotique pourrait avoir des implications importantes dans d’autres aspects de la biologie du développement et des cellules souches, ainsi que dans l’oncogénèse.