Résumé : L’enjeu de la thèse peut-être situé à partir du domaine qu’on appelle aujourd’hui « pédagogie universitaire ». Dans ce domaine, une préoccupation majeure tient aux difficultés que rencontrent beaucoup d’étudiants, notamment au début des études supérieures. Ainsi, au sein d’une littérature désormais abondante, des recherches s’intéressent à l’origine sociale et au passé scolaire des étudiants, d’autres examinent leur attitude face aux études ou bien leurs stratégies d’apprentissage ou encore les dispositifs didactiques mis en place par les enseignants, etc. L’originalité de ce travail est d’entrer dans ce problème en s’interrogeant sur la nature des savoirs enseignés.

Le « savoir enseigné » se révèle d’emblée un objet difficile à cerner et même insaisissable : s’agit-il des paroles de l’enseignant, des supports écrits divers auxquels il confronte les étudiants ? Faut-il y inclure ce que les étudiants doivent accomplir par eux-mêmes ? Comment rendre compte de ce qu’il est ?

Ce problème conduit à affirmer qu’on ne peut identifier ni même simplement décrire un savoir sans référence à des pratiques. Il s’ensuit une analyse fine et rigoureuse de cette notion de pratique. Si cette notion doit beaucoup aux travaux que Latour et Stengers ont conduits à propos des savoirs et pratiques scientifiques, elle est reconstruite au regard de la spécificité de la pratique enseignante et permet notamment de décrire le processus de réappropriation que la pratique enseignante opère sur des objets et des savoirs qui lui viennent d’autres pratiques. Dès lors, ce que nous appelons couramment « savoir » n’est pas un objet qui aurait une existence propre et indépendante, mais il est toujours pris dans une pratique comme ce qui constitue une réponse pertinente aux contraintes dont elle est constituée. Ainsi le savoir enseigné est le produit d’une construction au sein de la pratique enseignante. On ne peut le concevoir comme un objet qui serait le résultat d’une transmission ou d’un appauvrissement par rapport à un autre objet qui lui préexisterait et qui serait le « savoir savant ».

Ces analyses ont un certain nombre d’implications : elles conduisent inévitablement à une ré-interrogation de la notion de transposition didactique. Elles remettent en cause la vieille, mais tenace dichotomie entre théorie et pratique.

Elles obligent à penser le savoir comme ce qui s’inscrit dans une pratique et qui est porteur d’enjeux pour ses acteurs.

Pour appuyer ces considérations, la thèse contient le compte-rendu de l’observation de l’intégralité de huit cours d’enseignement supérieur (pris à l’université, dans l’enseignement supérieur court et dans la formation continue). Il s’agit, dans cette partie empirique, de mettre à l’épreuve les concepts construits et de voir, sur un ensemble d’unités d’enseignement suffisamment ouverts, s’ils sont assez précis pour rendre compte à chaque fois de la spécificité de la pratique enseignante et du savoir enseigné.

Ces huit études de cas conduisent à poser un problème didactique fondamental : sachant que l’étudiant ne peut porter intérêt à un cours que s’il fait l’expérience des enjeux auxquels le savoir enseigné peut répondre, comment lui faire partager ces enjeux ? Cette question conduit à un examen critique de la notion de « situation-problème » et à une ouverture des formes possibles de problématisation, mais également à proposer le concept de « dramatisation » pour désigner les infinies manières de faire partager aux étudiants les enjeux d’un savoir.

Il s’ensuit qu’on ne saurait concevoir de méthode pédagogique ou didactique qui pourrait « s’appliquer » indifféremment à n’importe quel contenu de savoir, puisqu’à la fois la dramatisation d’un savoir ne peut s’envisager indépendamment de ce qu’il est ni indépendamment des pratiques de l’enseignant, et qu’en retour il ne saurait y avoir de savoir enseigné qui préexisterait à la pratique d’enseignement.