Résumé : A la limite entre le Cameroun et le Nigéria, la région du Faro est une zone d’extraordinaire diversité, tant du point de vue des populations que de la topographie. Pas moins de 13 groupes ethnolinguistiques y sont documentés, qui appartiennent à 3 grands ensembles linguistiques et se répartissent dans la plaine et les montagnes. Les données de la linguistique indiquent que les représentants des langues adamaoua seraient présents dans la plaine de la Bénoué et du Faro depuis environ quatre mille ans. Au niveau de l'ethnohistoire, on sait que les habitants des plaines sous soumis à l’autorité des Foulbé depuis deux siècles. Mais au delà de cette période, de nombreuses zones d'ombre demeurent. L’histoire des populations de cette partie du bassin de la Bénoué avant le 19ème siècle semblait donc hors d’atteinte, car la région du Faro restait vierge du point de vue archéologique.

Dans ce travail, j’apporte par le biais d'une approche historique et comparative des éléments susceptible d’expliquer, d’une part la complexité qui caractérise le peuplement du Faro et, d’autre part, la façon dont le peuplement de cette région a évolué au cours du dernier millénaire. Il est également question de faire progresser la réflexion méthodologique, en évaluant la façon dont les modèles obtenus par l’archéologie peuvent être confrontés avec ceux qui se basent sur les traditions orales, les éléments de la culture matérielle actuelle et la linguistique.

L’étude des traditions orales a permis de classer par ordre chronologique les éléments historiques importants et d’établir une histoire du peuplement durant ces derniers siècles. Elle confirme qu’il est possible de reconnaître des racines remontant au delà du 19ème siècle à la plupart des groupes qui peuplent encore la région aujourd’hui, ainsi que de nombreuses ruptures dans l’histoire du peuplement du Faro. Contrairement aux travaux antérieurs, la plus importante de ces fractures date du début du 19ème siècle, avec l’occupation des conquérants foulbé, qui ont provoqué l’insécurité généralisée, la division de la région en deux et les plus importantes déportations de populations des plaines vers les montagnes refuges.

L’approche archéologique a permis d’établir la première séquence chrono-culturelle du Faro au cours du dernier millénaire. Si la présence d’un peuplement ancien dans la plaine était envisagée, l’étude archéologique apporte la preuve que des communautés humaines vivent dans le Faro depuis environ 1000 ans. A partir du 15ème siècle, des modifications surviennent. Celles-ci se manifestent surtout par l’apparition d’une nouvelle poterie ornée au Blepharis sp. Lorsque l’on compare la carte de distribution des sites associés à cette céramique, au trajet suivi par les Bata, qui remontent le cours du Faro en implantant des villages et à l’aire d’extension des langues tchadiques au Faro, il semble plausible que de nouvelles populations occupent la région vers le milieu du dernier millénaire de notre ère. Pour le 19ème siècle bien documenté par les traditions orales, les données archéologiques viennent renforcer l’idée d’une profonde rupture durant cette période.

En abordant l’histoire du peuplement du Faro, il était nécessaire d’examiner le concept de l’ethnicité comme il est classiquement employé dans la région. D’une manière générale, l’étude conforte l’idée qu’il est très difficile d’aborder la profondeur historique des identités des groupes actuels.

La confrontation entre les faits des cultures vivantes et les résultats archéologiques a permis d’évaluer les potentialités de raisonnements historique et comparatif. On ne peut que constater, dans cet exemple concret, le grand intérêt qu’il y a à fonder la reconstitution du passé sur de multiples sources.