Résumé : Dans cette thèse de doctorat, je m’attache à interpréter, à systématiser et à soumettre à un examen critique la pensée politique du droit de Hannah Arendt. En effet, alors que le versant politique de cette œuvre a fait l’objet d’une attention tout à fait considérable, on n’a toujours pas pris la mesure de l’intérêt évident de la philosophe pour le droit et les institutions juridiques et judiciaires les plus essentielles. Or, selon la thèse que je défends, l’une des raisons qui expliquent l’originalité de cette pensée et son caractère stimulant est à chercher du côté du positionnement qu’elle adopte vis-à-vis de la question du droit.

Pour atteindre ces différents objectifs, ma thèse est structurée en deux grandes parties qui correspondent à deux points de vue que l’on peut adopter par rapport au droit et qui se révèlent tout à fait opératoires si l’on accède à une vision panoramique des écrits dispersés qu’Arendt a consacrés au droit. Je distingue ainsi, et ne cesse de faire dialoguer dans ma thèse, le « pôle objectif » (première partie) et le « pôle subjectif » (seconde partie) de la philosophie du droit de Hannah Arendt.

1/ Dans la première partie de mon étude, je montre comment la philosophe s’attache, dans ses livres les plus célèbres, à construire des modèles politiques qui ont tous pour particularité d’être aussi – et de manière indissociable – des modèles juridiques. a) Mon premier chapitre est dédié à l’intérêt manifesté par Hannah Arendt pour les sources de l’Antiquité, et vise en particulier à clarifier le rapport qu’elle entretient vis-à-vis des sources romaines. b) Dans mon deuxième chapitre, je propose une interprétation de sa réflexion consacrée aux deux grandes révolutions modernes de la fin du XVIIIe siècle, les Révolutions française et américaine. Je mets en lumière de quelle façon Arendt, en s’inspirant du précédent américain, élabore un modèle républicain et peut ainsi approfondir sa conception de l’articulation entre droit et politique. c) Dans mon troisième chapitre, je précise les contours d’un contre-modèle élaboré par Arendt dans ses premiers écrits politiques d’envergure, ceux qu’elle a consacrés au totalitarisme.

2/ Dans la seconde partie de mon étude, je me concentre sur le « pôle subjectif » de la philosophie de mon auteur : j’indique comment Arendt mobilise des situations existentielles limites pour penser la condition de l’homme contemporain. a) Dans mon quatrième chapitre, je montre que c’est à partir de la situation des réfugiés et des apatrides de l’entre-deux-guerres que Hannah Arendt nous invite à repenser non seulement les droits de l’homme, mais aussi leur titulaire, que j’appelle l’« homme des droits de l’homme ». b) Dans mon cinquième chapitre, je m’attache à mettre en évidence, dans toutes ses nuances, la figure du « juge » que Hannah Arendt s’attache à reconstituer après avoir assisté au procès d’Adolf Eichmann, après avoir ressenti ce que je nomme le « choc » du procès Eichmann. c) Dans mon sixième et dernier chapitre, enfin, je m’interroge sur les raisons profondes qui incitent Arendt à voir dans les grandes campagnes de désobéissance civile qui éclatent aux États-Unis durant les années 1950 et 1960, non le signe d’un déclin des institutions, mais, au contraire, la marque d’une renaissance de l’action citoyenne.

Je conclus en synthétisant l’apport de Hannah Arendt à notre pensée juridique. Dans cette œuvre, le droit n’apparaît jamais comme une simple contrainte extérieure pour la politique, ni comme son « supplément d’âme », mais comme sa condition d’existence : en conférant à la liberté politique ses limites, limites spatiales mais aussi relationnelles et temporelles, en lui offrant un cadre stable au sein duquel elle peut s’épanouir, le droit n’ampute pas la politique d’une part d’elle-même mais, au contraire, participe de sa constitution. Me fondant sur trois catégories centrales de la réflexion juridique (législation, constitution, juridiction), je souligne en outre tout l’intérêt d’une confrontation approfondie et détaillée entre l’œuvre arendtienne et les questions classiques et contemporaines qui animent le champ de la théorie et de la philosophie du droit, ce qui me permet d’ouvrir un certain nombre de perspectives de recherches futures.