Président du jury Neve, Jean
Promoteur Amighi, Karim ;Wauthoz, Nathalie
Publication Non publié, 2013-04-19
Résumé : | Compte tenu de ses aspects multiples, de sa dangerosité potentielle et du taux de survie considérablement bas qui lui est associé dans ses formes les plus graves, l’aspergillose pulmonaire est encore à l’heure actuelle dévastatrice sur le plan clinique. L’approche médicamenteuse conventionnelle consiste en l’administration par voie orale ou intraveineuse (IV) d’agents antifongiques. Ces voies classiques requièrent l’administration de doses très élevées qui sont nécessaires à l’obtention de concentrations systémiques suffisantes pour obtenir un effet thérapeutique au niveau pulmonaire. Cependant, ces concentrations systémiques sont également la cause d’effets secondaires indésirables et d’interactions médicamenteuses importantes. Une alternative thérapeutique à ces voies classiques serait de localiser ces antifongiques dans le poumon, en utilisant la voie inhalée. Cela permettrait d’augmenter le taux de succès thérapeutique en déposant et en concentrant directement la dose au niveau du site d’infection tout en minimisant les concentrations systémiques. Pour ce faire, nous avons choisi de développer des poudres sèches pour inhalation à base d’itraconazole (ITZ), un antifongique actif à l’égard des souches d’aspergillus. Celles-ci sont administrable via un inhalateur à poudre sèche pour les avantages que présente ce mode d’administration comparativement aux nébuliseurs et aux inhalateurs pressurisés. Le développement des formulations implique entre autres l’obtention de caractéristiques aérodynamiques appropriées, c’est-à-dire, ayant, après décharge à partir d’un dispositif d’inhalation, un profil de déposition pulmonaire permettant d’atteindre des doses pulmonaires pharmacologiquement efficaces. Toutefois, l’ITZ présente une solubilité aqueuse extrêmement faible (solubilité aqueuse à pH 7 ~ 4 ng/ml à 25°C). Or, une fois déposée dans le poumon, la dose inhalée doit se solubiliser pour exercer son action pharmacologique. Nous avons donc inclus dans les concepts de formulation, une stratégie permettant l’amélioration du profil de dissolution et l’augmentation de la solubilité de l’ITZ. Cela permettrait en effet d’en potentialiser au maximum l’action pharmacologique au sein des lésions fongiques avant qu'il ne soit éliminé sous sa forme non dissoute par les mécanismes de clairance non absorptifs du poumon. De plus, le poumon étant un organe ne tolérant qu’un nombre limité de substances administrables par inhalation, nous nous sommes focalisés sur l’utilisation d’excipients présentant un faible potentiel toxique ou bien tolérés après inhalation. Enfin, nous avons gardé à l’esprit lors du développement des procédés de fabrication qu’ils pouvaient être sujets à la mise à l’échelle industrielle. Nous avons donc privilégié des procédés de fabrication simples incluant des technologies transposables telles que l’atomisation par la chaleur et l’homogénéisation à haute pression. Une attention particulière lors de la caractérisation des poudres a été portée sur les propriétés d’écoulement des formulations, toujours dans l’optique de faciliter une potentielle future manutention à plus grande échelle. Pour répondre à ces critères, durant la première partie de ce travail, nous avons imaginé deux concepts de formulation qui ont pour but de former des microparticules de mannitol dans lesquelles est dispersé l’ITZ sous forme « modifiée ». Le premier concept de formulation qui a été développé consistait à former une dispersion solide (DS) entre l’ITZ, si possible amorphe pour en augmenter la solubilité, et un agent matriciel en utilisant le procédé d’atomisation par la chaleur d’une solution contenant tous les ingrédients sous forme dissoute. Lors de tests préliminaires, nous avons évalué trois types d’agents matriciels, deux agents hydrophiles (le mannitol et le lactose) et un agent hydrophobe (le cholestérol). Sur base de la faisabilité, des résultats préliminaires de solubilité, de dissolution et de déposition pulmonaire in vitro, le mannitol a été retenu. Après une optimisation des conditions d’atomisation, les formulations ont été produites en vue d’être caractérisées. Il a été observé, par diffraction de rayons X sur poudre (PXRD) et par calorimétrie différentielle à balayage (DSC), qu’après atomisation, l’ITZ était obtenu sous forme amorphe et le mannitol sous forme cristalline. Les tests d’évaluation des propriétés aérodynamiques ont été réalisés à l’aide d’un impacteur liquide multi-étages (MsLI) en suivant les recommandations pratiques de la Pharmacopée européenne. Ce type de compositions, atomisées dans les conditions optimales, permettait d’obtenir des poudres sèches présentant les caractéristiques de taille (diamètre médian < 5 μm, mesuré par diffraction laser) et les propriétés aérodynamiques appropriées à l’administration pulmonaire (fraction de particules fines (FPF) déterminées lors des tests d’impaction comprises entre 40 % et 70 %). La formation d’une DS avec le mannitol était nécessaire afin d’augmenter la solubilité et d’accélérer la cinétique de dissolution de l’ITZ comparativement à son homologue micronisé sous forme cristalline ou encore à sa forme amorphe atomisée sans mannitol. Par exemple, dans sa configuration amorphe atomisée sans excipient ou sous sa forme cristalline initiale, l’ITZ présentait une solubilité à saturation (mesurée dans un tampon phosphate contenant 0,02% de dipalmytoyl phosphatidyl choline) inférieure à 10 ng/ml. Après formation d’une DS avec le mannitol suivant notre procédé de formulation, nous sommes parvenus à des valeurs de solubilité atteignant 450 ng/ml. Il s’est avéré que l’ajout à la composition d’un surfactant, le tocopherol polyethylène glycol 1000 succinate (TPGS), permettait d’accélérer la cinétique de dissolution du principe actif. Toutefois, l’utilisation du TPGS induisait une diminution des performances aérodynamiques des formulations. Etant donné que cette augmentation de la cinétique de dissolution pouvait être un avantage après administration pulmonaire, nous avons considéré un autre type de surfactant, les phospholipides (PL). L’utilisation de la lécithine de soja hydrogéné s’est révélée être très efficace. Les performances aérodynamiques des formulations ont été préservées et même améliorées. Leur incorporation à la DS permettait également d’obtenir une accélération du profil de dissolution de l’ITZ. De plus, l’augmentation de la quantité de PL dans nos formulations, dans la gamme des concentrations utilisées, était corrélée avec une amélioration d’autant plus marquée du profil de dissolution de l’ITZ. En outre, les solubilités de l’ITZ en présence de PL furent considérablement améliorées avec, par exemple, des concentrations mesurées de 870 ng/ml et 1342 ng/ml pour les formulations contenant respectivement 10 % (m/mpoudre) et 35 % (m/mpoudre) d’ITZ, ainsi que 10 % de PL exprimés par rapport à la quantité d’ITZ. Le deuxième concept de formulation développé consistait à produire des microparticules de mannitol dans lesquelles étaient dispersées des nanoparticules (NP) cristallines d’ITZ. Le procédé de fabrication était le suivant. Une suspension de nanocristaux d’ITZ produite par homogénéisation à haute pression (HPH) était re-suspendue dans une solution de mannitol qui était par la suite atomisée pour obtenir les microparticules de poudres sèches. Après optimisation des conditions d’homogénéisation, nous sommes parvenus à produire des nanosuspensions d’ITZ dont les particules présentaient un diamètre médian inférieur à 250 nm. Nous avons alors évalué l’influence qu’avait l’ajout du mannitol et du taurocholate sodique sur l’état d’agrégation des NP avant l’étape d’atomisation et sur les performances des formulations sous forme sèche. Il a été observé que l’ajout de mannitol était nécessaire à la production de solutions sursaturées en ITZ avec une solubilité maximale d’ITZ mesurées à 96 ng/ml dans le tampon phosphate précédemment cité. L’ajout de mannitol s’est avéré nécessaire afin de minimiser le phénomène d’agrégation des NP durant l’étape d’atomisation. De plus, l’ajout de taurocholate de sodium permettait également d’inhiber leur agrégation. La cristallinité des NP d’ITZ a été confirmée par PXRD et DSC. Ce type de formulation présentait des tailles et des performances aérodynamiques compatibles à l’administration pulmonaire (tailles des particules < 5 μm et FPF entre 35 % et 46 %). Néanmoins, comparativement aux DS précédemment décrites, ces formulations à base de NP s’avèrent sensiblement moins performantes. En effet, au niveau des caractéristiques aérodynamiques, les formulations à base de NP présentent des FPF nettement inférieures à celles obtenues pour les DS (FPF de ~40 % pour les formulations nanoparticulaires contre ~70 % pour les DS d’ITZ amorphe). De plus, à partir des formulations à bases de NP, les taux de sursaturation en ITZ atteints étaient nettement inférieurs à ceux obtenus avec les DS (~100 ng/ml Vs > 1000 ng/ml pour les meilleurs DS). En outre, la production des nanosuspensions nécessitait l’étape supplémentaire d’un minimum de 300 cycles d’homogénéisation, ce qui représente un désavantage considérable en termes de rendement économique en cas de transposition à échelle industrielle comparativement à l’étape unique nécessaire pour la fabrication des DS. Pour ces raisons, seules les DS ont été évaluées in vivo. Après la mise au point des formulations, la seconde partie de ce projet consistait à évaluer les DS développés dans un système biologique complet, la souris. Nous avons en premier lieu réalisé une pharmacocinétique (PK) après administration pulmonaire pour déterminer l’effet de l’augmentation de la solubilité observée in vitro et de l’ajout de PL dans la formulation. Ensuite, nous avons entrepris une étude d’activité sur un modèle murin d’aspergillose pulmonaire invasive (API) permettant de comparer l’efficacité thérapeutique ou prophylactique de nos formulations comparativement à une thérapie standard par voie orale. Pour effectuer ces deux études, nous avons préalablement validé une méthode d’administration des poudres sèches chez la souris à l’aide d’un insufflateur (DP-4M®, Penn Century, Wyndmoor, USA) en utilisant la voie endotrachéale. Le premier point de cette investigation avait pour objet de déterminer si l’intervalle de taille particulaire généré lors de la décharge de nos formulations au sortir de l’insufflateur permettait une répartition homogène dans les poumons ainsi qu’une pénétration profonde des particules jusqu’aux alvéoles pulmonaires. Le deuxième point sur lequel nous nous sommes également attardés était la reproductibilité des doses pulmonaires générées après insufflation, facteur déterminant lors de la réalisation d’une étude PK. Sur base des observations constatées durant la validation du dispositif d’administration, nous avons entrepris une étude PK après administration pulmonaire d’une dose de 0,5 mg/kg d’ITZ, représentant une quantité inhalable par l’homme et pouvant garantir des taux pulmonaires en antifongiques théoriquement adéquats. Cette étude a permis de comparer les concentrations pulmonaires et plasmatiques en ITZ après l’administration de poudres sèches à base d’une DS de mannitol et d’ITZ qui était soit cristallin soit amorphe, avec ou sans PL. Après administration de la DS à base d’ITZ sous sa forme amorphe, une augmentation de la quantité d’ITZ absorbée vers le compartiment systémique a été observée. En effet, il a été observé une augmentation d’un facteur 2,7 de l’aire sous la courbe des concentrations plasmatiques en ITZ de 0 à 24 heures (AUC0-24h) comparativement à celle obtenue après administration de la DS à base d’ITZ sous sa forme cristalline. Le temps pour atteindre la concentration plasmatique maximale (tmax) était également plus court pour la formulation à base ITZ sous sa forme amorphe (tmax de 10 min vs 30 min pour la formulation cristalline). De plus, dans cette configuration amorphe, les temps de rétention pulmonaire en ITZ étaient considérablement plus élevés (t1/2 d’élimination de 6,5 h pour l'ITZ cristallin vs 14 ,7 h pour l’ITZ amorphe) permettant de maintenir une concentration pulmonaire en ITZ supérieure à la CMI de la souche d’aspergillus la plus fréquente (A. fumigatus ; 2 μg/gpoumon) pendant plus de 24h. L’ajout de PL dans un rapport ITZ:PL:mannitol (1:3:97) dans la DS influençait le profil PK de l’ITZ amorphe en accentuant et accélérant d’avantage la phase d’absorption initiale de l’ITZ observée (Cmax et tmax plasmatique supérieur et inférieur à ceux obtenus pour l’ITZ amorphe, respectivement). Toutefois, cette formulation a été éliminée plus rapidement des poumons (t1/2 d’élimination pulmonaire de l’ITZ de 4,1h pour les formulations avec PL vs 14,7h sans PL). Pour cette raison, nous avons décidé d’évaluer l’efficacité des formulations à base d’ITZ sous forme amorphe sans phospholipides dans un modèle murin d’aspergillose pulmonaire invasive (API) que nous avons développé. Nous ne sommes pas parvenus à mettre en évidence un effet thérapeutique de l’administration des poudres sèches administrées dans ce modèle murin neutropénique d’API. Nous justifions ce manque d’activité par une agressivité du modèle trop prononcée et par l’impossibilité de pouvoir administrer de manière plus fréquente le traitement par inhalation en raison de l’anesthésie nécessaire pour la procédure d’administration endotrachéale. Toutefois, des essais complémentaires vont être envisagés (modification de la charge fongique, administration des poudres par une tour d’inhalation, optimisation du dosage et de la fréquence d’administration). En revanche, il a été mis en évidence que l’administration prophylactique (début des administrations 2 jours avant l’infection) d’une dose de 5 mg/kg/48h d’une DS d’ITZ amorphe augmentait significativement le taux de survie de 12 jours après l’infection par A. fumigatus comparativement aux animaux non traités (taux de survivants : 50 % vs 0 %). A titre de comparaison, le pourcentage de survie obtenu après prophylaxie quotidienne d’une dose de 12,5 mg/kg/12h de solution orale de VCZ (la thérapie recommandée pour l’API) n’était que de 25 %. En conclusion, les DS d’ITZ destinées à être administrées par inhalation constituent une approche thérapeutique prometteuse dans le cadre de la prévention et du traitement de l’aspergillose pulmonaire. |