Résumé : Les voies respiratoires des patients atteints de mucoviscidose sont colonisées par de nombreux pathogènes, parmi lesquels la bactérie P. aeruginosa est prédominante. Après des épisodes répétés d’infections du tractus respiratoire principalement liées à P. aeruginosa, les patients développent une insuffisance pulmonaire associée à un déclin du statut clinique et à une aggravation du pronostic puisqu’elle est souvent responsable du décès de ces patients. Les infections chroniques à P. aeruginosa affectent 80 à 90 % des patients atteints de mucoviscidose et, une fois ces infections installées, les associations actuelles d’antibiotiques sont incapables d’éradiquer la bactérie des voies aériennes de ces patients. La chronicité des infections est liée au développement de la bactérie sous un mode de vie particulier, le biofilm. Les bactéries s’assemblent en communautés complexes et organisées, entourées par la sécrétion d’une matrice extracellulaire polymérique. Ce mode de vie procure aux bactéries présentes dans le biofilm un environnement dense et protecteur, augmentant la résistance du pathogène au système immunitaire de l’hôte et aux antibiotiques conventionnels.

Dans la première partie de notre travail, nous avons caractérisé différentes souches de P. aeruginosa, comprenant des souches de référence et des souches cliniques isolées des expectorations de patients atteints de mucoviscidose. Les propriétés d’adhésion, de développement des biofilms, de mobilité, de production de rhamnolipides, l’activité protéolytique et la production d’acylhomosérine lactones se sont avérées très différentes au sein des souches. De plus, les caractéristiques phénotypiques des souches ne constituaient pas une valeur prédictive de la sensibilité des bactéries à un antibiotique, soulignant la nécessité d’étudier un panel large de souches pour caractériser l’effet d’un agent antimicrobien.

Dans la lutte pour combattre les infections et l’apparition de souches multirésistantes, de nouvelles stratégies thérapeutiques sont développées. Les céragenines sont une famille de molécules synthétisées dans le but de mimer la structure amphipatique des peptides antimicrobiens responsable de leur activité bactéricide importante. Contrairement à ces derniers, les céragenines maintiennent leur activité dans des conditions physiologiques.

Dans la deuxième partie de ce travail, nous avons étudié l’effet d’un composé antimicrobien appartenant à la famille des céragenines, le CSA-13, sur les différentes souches de P. aeruginosa. Nous avons confirmé le potentiel bactéricide du CSA-13 sur des cultures planctoniques de P. aeruginosa. Nous avons démontré qu’une concentration très faible et non cytotoxique de CSA-13 (10 fois inférieure à la CMI), inhibait la formation d’un biofilm de 3 souches de P. aeruginosa sur les 8 testées. L’étude du potentiel zêta des souches nous a permis de proposer un mécanisme basé sur des interactions électrostatiques pour expliquer l’action préventive du CSA-13 sur le développement du biofilm. Une concentration plus importante de CSA-13 a éradiqué l’entièreté d’un biofilm âgé de 24 h pour 7 des 8 souches étudiées. Six souches ont été évaluées dans un biofilm mature et toutes ont répondu au composé avec des concentrations croissantes ou un temps d’exposition du composé au biofilm plus important. Aucune résistance au CSA-13 n’est apparue durant le traitement. L’usage de la microscopie confocale à balayage laser a confirmé la rapidité et l’efficacité d’action du CSA-13 sur un biofilm robuste et complexe de P. aeruginosa par visualisation dans le temps et dans l’espace de l’effet du CSA-13 sur le biofilm. L’ensemble des observations de ce travail nous a permis de conclure que 7 sur les 8 souches de P. aeruginosa étaient sensibles au CSA-13, soit à un stade initial de la formation du biofilm, soit après maturation du biofilm. Ces résultats soulignent le potentiel thérapeutique important, envers tous les stades de formation et de développement du biofilm, de composés à structure amphiphile comme le CSA-13, avec une face cationique favorisant les interactions avec les membranes bactériennes chargées négativement et une face hydrophobe contribuant à la perturbation de ces membranes.

Le traitement de référence actuel envers les infections à P. aeruginosa, chez les patients souffrant de mucoviscidose, consiste en l’administration par inhalation de tobramycine commercialisée sous le médicament TOBI®. Nous avons investigué l’intérêt d’une administration combinée de l’aminoglycoside avec le CSA-13. Un bénéfice évident de la combinaison de CSA-13 et de tobramycine est apparu dans cette étude aussi bien sur biofilm jeune que mature. Dans certaines conditions, le CSA-13 semblait même prévenir la résistance à la tobramycine. Il sera cependant indispensable de concevoir des expériences in vivo pour confirmer l’intérêt du CSA-13 ou d’une co-administration de CSA-13 et de la tobramycine dans le traitement d’infections chroniques à P. aeruginosa chez des patients atteints de mucoviscidose.

Nos études in vitro sur cellules eucaryotes humaines ont mis en évidence une toxicité membranaire et mitochondriale provoquée par le CSA-13 lors de l’administration de concentrations importantes. L’association du CSA-13 avec l’acide pluronique F-127 a permis de réduire significativement la toxicité du composé sur les membranes. Cependant, l’association n’a pas diminué les effets délétères exercés par le CSA-13 sur l’activité mitochondriale. Les études devront donc se poursuivre afin d’affiner la compréhension du mécanisme d’action des céragenines et de pouvoir déceler des dérivés moins toxiques. L’évaluation de l’activité in vivo du composé devrait nous éclairer quant à la fenêtre thérapeutique utilisable en clinique.

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