Résumé : La chimiothérapie conventionnelle est principalement constituée d’agents pro-apoptotiques. Or, de nombreux cancers sont intrinsèquement résistants à l’apoptose et cela explique en grande partie les mauvais pronostics associés à certains cancers, dont les cancers métastatiques, en raison de leur résistance aux chimiothérapies pro-apoptotiques. La thématique de ce travail s’inscrit dans la recherche de molécules présentant des modes d’actions différents afin de vaincre les mécanismes de résistance des cellules cancéreuses.

Une nouvelle série de composés di- et trivanilliques a ainsi été déclinée. La structure de ces composés est inspirée de molécules naturelles divanilliques étudiées pour leurs propriétés anti-falciformation dans la drépanocytose. Notre stratégie a été de transposer l’activité présumée de ces composés sur le cytosquelette des érythrocytes falciformes au niveau de la prolifération et de la migration des cellules cancéreuses. A cette fin, des méthodes pour analyser l’activité antitumorale de cette série de nouveaux composés ont été mises en place.

In vitro, les composés que nous qualifions d’actifs inhibent la croissance d’une dizaine de populations cellulaires cancéreuses distinctes à des valeurs inhibitrices de croissance à 50 % (indice IC50) de l’ordre de 30 µM. Les dérivés trivanilliques se classent parmi les composés les plus actifs de la série, en particulier le composé trivanillique chloré 13c qui exerce un effet cytostatique sur les lignées cellulaires cancéreuses analysées tout en présentant un certain taux de biosélectivité vis-à-vis des cellules normales. Nous avons ainsi consacré une partie de ce travail à approfondir la compréhension du mécanisme d’action du composé 13c et à le comparer à ses analogues de synthèse pour tenter d’établir une relation de type structure-activité.

Le dérivé 13c est cytostatique car il interfère avec le processus mitotique et il inhibe à plus de 75 % l’activité de 26 kinases à la concentration de 2 µM qui est donc plus de dix fois inférieure à la concentration inhibitrice IC50 moyenne de 30 µM rapportée ci-avant. Huit de ces 26 kinases sont directement impliquées dans l’organisation du cytosquelette d’actine et notamment dans les processus de cytokinèse. Parmi les kinases dont l’activité est la plus fortement modifiée par le composé 13c figurent les Aurora kinases qui sont de puissants contrôleurs de la cytokinèse. Nos résultats montrent également que l’activité cytostatique du composé 13c entraînant une désorganisation du cytosquelette d’actine pourrait être induite non seulement par l’inhibition de l’activité de certaines kinases mais aussi par des modifications induites par ce produit au niveau de l’homéostasie du calcium intracellulaire.

L’efficacité des agents chimiothérapeutiques est souvent altérée par une résistance tumorale intrinsèque appelée résistance multidrogue (le phénotype MDR). In vitro, le composé 13c s’est montré tout aussi efficace sur des lignées cancéreuses possédant cette résistance multidrogue que sur des cellules cancéreuses sensibles aux agents chimiothérapeutiques. De même, diverses lignées cellulaires résistantes aux stimuli pro-apoptotiques sont également sensibles à l’activité inhibitrice de croissance in vitro du trivanillate 13c.

Enfin, l’activité du composé 13c a été testée in vivo sur un modèle de pseudométastases pulmonaires issues du mélanome B16F10 murin. Les tumeurs pulmonaires présentent une cible intéressante pour le composé 13c au vu de son activité anti-tyrosine kinase comprenant la kinase EGFR et ses formes mutées EGFR-L858R et EGFR-T790M fréquemment retrouvées au sein des cancers du poumon non-à-petites-cellules (NSCLC). Le principe actif a été administré dans les poumons par inhalation via un dispositif endotrachéal. La voie inhalée est avantageuse par rapport à la voie systémique pour l’administration du produit 13c car cette molécule possède des liaisons esters qui sont hydrolysables par les estérases plus présentes au niveau des voies systémiques que dans les tissus pulmonaires. L’inhalation permet aussi de cibler mieux le site tumoral afin de réduire les dommages collatéraux.

Ce travail offre des perspectives au niveau de l’élaboration de formulations permettant d’augmenter la biodisponibilité de la molécule 13c. Une association d’un traitement au composé 13c et d’une chimiothérapie conventionnelle est envisagée car elle pourrait potentialiser les effets de ces deux traitements.