Résumé : Au cours du second immédiat après-guerre, la Belgique continue être soumise à une « économie de disette » qui s’est épanouie sous la seconde occupation. Afin d’assurer le ravitaillement alimentaire de la population et le maintien d’une activité économique, la puissance publique est contrainte d’organiser l’économie nationale traditionnellement acquise à la liberté du marché. Le temps de la pénurie alimentaire mondiale, la politique alimentaire va diriger l’approvisionnement général du pays par la stabilisation des prix et salaires, les importations, la mobilisation du secteur alimentaire, la distribution de l’alimentation, le rationnement et enfin la répression du « marché noir ». En dépit de la cherté des approvisionnements extérieurs et la régulation de la pénurie au niveau mondial, les gouvernements belges qui se succèdent depuis la Libération s’attachent à l’amélioration du niveau de vie d’une population affaiblie par l’occupation. Cette restauration des forces de travail est un corollaire indispensable à la reprise de l’activité économique et à la reconstruction du pays mais aussi au maintien de l’ordre établi et à la restauration politique. Cet objectif alimentaire a été assigné en exil et dans Bruxelles occupée par les élites dirigeantes – qu’elles soient politiques, économiques ou syndicales – dans une rare unanimité au même titre que la défense d’un « franc fort ». Le Parti communiste, qui participe au pouvoir dès le premier Gouvernement d’Union nationale de la Libération, va aussi adhérer à ces deux objectifs et se voit attribuer le lourd et ingrat portefeuille du Ravitaillement pendant la plus grande partie de son existence qui s’étale de septembre 1944 à décembre 1948.

Le choix assumé par une Belgique solvable d’une « politique d’abondance » aux dépens d’une planification des investissements se démarque des choix opérés par la France, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne impécunieux mais obsédés par la modernisation de leurs appareils de production respectifs. L’objectif belge d’apporter à la population – à coup de subventions massives – l’indispensable puis l’utile mais aussi le superflu va se maintenir jusqu’à la libération progressive des transactions et des prix et participe à la restauration rapide de l’économie belge transformatrice et exportatrice. Dès la fin de la guerre en Europe, un apparent « miracle économique » se produit en Belgique avec la reprise rapide des exportations à destination des pays limitrophes. Le processus de restauration économique a été initié dès les premières semaines de la Libération grâce aux prestations massives aux armées alliées et le « remboursement » inespéré d’une partie conséquente de celles-ci après-guerre. Dès le début de l’année 1947, la production industrielle belge rattrape le niveau d’avant-guerre alors que les productions charbonnière et agricole restent à la traîne. La politique alimentaire du second immédiat après-guerre place le consommateur au centre de l’économie agricole et multiple les contraintes du côté de l’offre en matière de transactions et de prix. Encombrée par l’héritage de l’occupation – en dépit d’un droit d’inventaire – elle rencontrera une forte opposition de la part du secteur alimentaire et principalement le monde agricole et le petit commerce. Ceux-ci déploieront des stratégies défensives à la fois politiques et illégales. Ces dernières s’expriment essentiellement depuis l’occupation par le détournement d’une part conséquente des maigres disponibilités alimentaires au profit de l’ennemi et d’une minorité au fort pouvoir d’achat. Quant au monde ouvrier organisé qui constitue aux yeux de la puissance publique le principal acteur du côté de la demande alimentaire, il va contester dès la Libération la politique d’austérité et l’inéquité des sacrifices demandés au nom de la restauration du pays. En dépit d’une pacification convenue entre les élites patronales et syndicales en échange de réformes sociales et la participation loyale des communistes au pouvoir, la seconde sortie de guerre sera marquée par de nombreuses grèves « sauvages » débordant le cadre syndical réformiste et communiste.

À vrai dire, la politique alimentaire mise en œuvre au cours de la seconde libération et du second immédiat après-guerre – ainsi que les réponses apportées par l’offre et la demande – ne peuvent être étudiées et comprises qu’en convoquant les crises alimentaires précédentes depuis la première occupation que la Belgique fut la seule à connaître en Europe occidentale sur la plus grand partie de son territoire, à l’exception du petit voisin grand-ducal. Tant la puissance publique, les élites dirigeantes que le monde agricole ou encore le mouvement ouvrier sauront tirer les enseignements des expériences passées. Enfin, la production agricole de la Belgique structurellement dépendante des importations massives de céréales et autres aliments du bétail s’inscrit depuis la fin du XIXème siècle dans une économie alimentaire mondialisée. Les crises alimentaires des temps de (sortie de guerre) traversées par la petite économie transformatrice et exportatrice sont avant tout des crises des approvisionnements extérieurs marquées par leur diminution voire leur quasi disparition. Au cours du second immédiat après-guerre, la politique alimentaire de la Belgique – comme celle des autres grands pays importateurs français, britannique ou néerlandais – sera toujours aussi tributaire des approvisionnements extérieurs régulés depuis la guerre par les Grands Alliés anglo-saxons. Ceux-ci passeront le relais en 1946 aux organismes internationaux gravitant autour des Nations Unies jusqu’aux abondantes récoltes mondiales de l’An 1948.