par Croiset, Sophie ;Rosier, Laurence
Référence Le manger et le dire. Pour une approche du discours culinaire et gastronomique. (Université Libre de Bruxelles: 19-22 septembre)
Publication Non publié, 2012-09-21
Communication à un colloque
Résumé : Tout le monde a possédé ou possède les petits Marabout Flash, vestiges des anciens manuels de convenances, articulés autour de l’apprentissage de pratiques ancestrales (ex. l’art de dresser la table) et modernes (ex. jouer au tennis). Ces ouvrages (500 numéros publiés de 1959 à 1983) couvrant l’ensemble des domaines du savoir(-vivre), constituent un corpus à la fois vaste et diversifié permettant d’étudier la manière dont une société organise les formes et les normes du discours culinaire et gastronomique. On a tendance aujourd’hui à dire que la toile a favorisé la porosité entre discours spontanés et discours d’experts. Cependant, le principe avoué du Marabout Flash était de rendre chacun expert en tout (en langue, en menuiserie, en mode) et capable de tout faire (comme reflété par les nombreux volumes intitulés « Je fais tout moi-même » et déclinés en des thèmes aussi variés que la maçonnerie, l’électricité, la confection de rideaux ou la réalisation de yaourts). Tel l’honnête homme du XVIIème, Monsieur et Madame Flash représentent le couple idéal doté de connaissances infinies et de compétences universelles. Et cette « encyclopédie permanente de la vie quotidienne » (ainsi revendiquée) est écrite de manière bonhomme et comique créant une tension entre l’aspect léger du discours et la pression du résultat attendu : la perfection et l’expertise, sur fond de quête d’absolu. Dans le domaine plus spécifique de la cuisine, les Marabout Flash donnent une cartographie étendue des us et coutumes par les catégories utilisées, marquées par les titres (« Viandes et grillades », « Les salades », « Poissons et crustacés ») et soulignées par le discours normatif sous-jacent (cuisiner de saison, cuisiner varié, cuisiner frais ou surgelé, diététique, convivial, exotique, etc.). Le ton prescriptif classique du discours culinaire incarné dans la « recette » y prend une tournure originale à plusieurs égards. Monsieur et Madame Flash, couple « multifonctionnel » énonciateur, y exposent leurs conseils sur un ton à la fois sympathique, didactique et humoristique (ex. « avoir la poêle dans la main »). A l’aide d’un jeu récurrent sur l’interdiscours – autour du patrimoine langagier et culturel (« les huit commandements des abats », « voyage autour de ma table », « le tour du monde en 80 plats » etc.) – la paire s’adresse à une lectrice imaginaire condensant (ou aspirant à condenser) les qualités de la femme « parfaite ». Nous centrerons notre propos sur les introductions menées à la manière de petites chroniques envolées, drolatiques, où se concentrent le projet normatif et les représentations imaginaires de la culture gastronomique et du discours culinaire. L’objectif est de dégager les traits d’une forme particulière et typique du discours prescriptif, propre à une époque qui semble aujourd’hui révolue.