Résumé : En 2013, le Tribunal Constitutionnel de la République Dominicaine rend la sentence 168/13. Elle a pour effet d’entrainer l’État dominicain dans une entreprise de dénationalisation avec un effet rétroactif allant jusqu’en 1929. Depuis 1929, le droit du sol s’appliquait à tous les enfants nés sur le sol national, sauf pour ceux nés de parents diplomates ou « en transit ». Ce terme de « en transit » désignant initialement toute personne étrangère « présente depuis moins de dix jours » a alors été réinterprété pour devenir synonyme de « sans-papiers ». Cette sentence s’applique officiellement à toute personne née depuis 1929, dépourvue de la preuve que ses parents étaient dominicains ou étrangers en situation régulière. Elle vise en réalité une population bien précise : plusieurs générations de descendants d’Haïtiens, issus de la plus grande diaspora présente dans le pays, ils représentent plus de 87% de la totalité des immigrés établis sur le territoire dominicain.Pour comprendre ce qui amena la République Dominicaine à prononcer ladite sentence, il faut remonter quelques cinq siècles en arrière. L’île fut d’abord scindée en deux par la colonisation européenne avant qu’Haïti la colonise à son tour dans sa totalité.Les Dominicains se sont alors battus pendant près d’un siècle pour obtenir leur indépendance de leur voisin. La nation dominicaine s’est alors forgée sur l’altérité entre les deux peuples. Cette altérité s’est alors transformée pour certains en « anti-haïtianisme » et a atteint son paroxysme en 1937, quand l’État dominicain, alors sous le régime dictatorial de Trujillo, perpétua le massacre d’environ 30 000 Haïtiens établis sur la partie orientale de l’île.Depuis plusieurs décennies, Haïti, classé parmi les « pays les moins avancés » par les Nations Unies se trouve dans une situation alarmante, exacerbée par une succession de catastrophes naturelles en ce début de XXIe siècle. La République Dominicaine s’en sort mieux, mais reste un « pays en développement » qui fait face aux problèmes inhérents à une telle situation.Il est estimé que la Sentence rendit 250 000 personnes apatrides, les reléguant ainsi aux limbes juridiques, les plongeant dans le « paradoxe des droits de l’homme » tel que le décrivit Hannah Arendt en 1951, la République Dominicaine n’étant pas partie à la Convention des Nations Unies de 1954 relative au statut des apatrides.Cette sentence dominicaine semble alors être le stigmate de l’impossibilité d’une île.