par Berns, Thomas
;Rouvroy, Antoinette
Référence La pensée et les hommes (Bruxelles), 74, page (173-194)
Publication Publié, 2009

Référence La pensée et les hommes (Bruxelles), 74, page (173-194)
Publication Publié, 2009
Article révisé par les pairs
Résumé : | S’il est question de « corps statistique », c’est dans la mesure où l’on veut ici analyser la gouvernementalité contemporaine, dans ce qu’elle tente de dire, de prédire et d’orienter des comportements (et intentions), et en ce que, à ce titre, elle se présenterait 1) comme statistique, au sens où elle repose fondamentalement sur l’exploitation de grandes quantités de données – signifiantes ou non aux yeux des individus eux-mêmes - recueillies dans une multitude de contextes de vie et d’action hétérogènes les uns aux autres, et sur la ‘découverte’ algorithmique de corrélations prédictives des comportements futurs et 2) comme capable d’éradiquer l’incertitude et l’imprévisibilité des comportements individuels grâce au traitement de leur multiplicité, laquelle serait de la sorte objectivée comme si la totalité de l’agir humain pouvait être bel et bien prise en considération, comme si nous n’avions affaire qu’à un ensemble de corps et que des opérations de calcul – la découverte de corrélations – sur l’ensemble devait permettre de prédire le comportement de chaque individu. Nous entendons donc corps non pas dans son sens biologique et sa positivité matérielle considérée comme objectivement distincte de l’esprit, mais comme ce qui, quelle qu’en soit la nature réelle, est le résultat d’une réduction « politique » à un ensemble de corrélations pouvant être abstraites de toute intentionnalité et même de toute causalité. Le corps statistique en ce sens évacue les dimensions « physique » et « linguistique » qui caractérisent notamment le corps subjectif : ni l’expérience physique du corps, ni le récit autobiographique du sujet ne sont plus « autorisés », ne font plus « autorité », au sens où leur « auteur » détiendrait l’ « autorité » nécessaire pour en contrôler l’intelligibilité et l’interprétation. Cette génération quasi-spontanée du « corps statistique » à partir du « réel brut » – nonobstant l’intermédiation technologique nécessaire au calcul et aux opérations algorithmiques qui en constituent le « métabolisme » - cache sa puissance normative sous l’apparente neutralité de l’immanence ou de l’ « adéquation » à un réel entendu dès lors comme proprement « physique ». |