Résumé : À la croisée des arts et des sciences, cette thèse met en valeur la créativité de l’interprète, encore sous-estimée dans les études contemporaines, en tant qu’objet d’étude à part entière. Elle s’intéresse aux gestes violonistiques d’Eugène Ysaÿe (1858–1931), envisagés comme des actes de « surcréation », concept formulé par Ysaÿe lui-même, où l’interprète devient co-créateur de musique, plutôt que simple vecteur neutre des « intentions » du compositeur.L’étude repose sur l’analyse de traces matérielles de ses gestes : enregistrements acoustiques (Columbia, 1912–1914) et annotations manuscrites, examinés dans leurs contextes organologiques et techniques appropriés. Ces documents, souvent négligés tant par les musicologues que par les interprètes, sont ici réévalués en tant que témoins actifs de la pratique musicale. Pour les aborder de manière rigoureuse, la recherche mobilise une pluralité d’outils méthodologiques, incluant l’analyse systématique (notamment par des méthodes computationnelles), la recherche en archive, l’« enregistrement historiquement informé », l’« émulation » violonistique et l’étude auto-réflexive. S’appuyant sur des travaux récents relatifs au geste musical, la thèse propose une reconceptualisation du geste violonistique comme un schéma d’action par lequel l’interprète façonne les motifs musicaux. Ces considérations théoriques sont illustrées par une série de gestes d’Ysaÿe précis identifiés dans les sources, chacun porteur d’une logique interprétative propre. Cela conduit à une approche renouvelée de l’analyse de l’interprétation musicale, dépassant l’étude d’éléments stylistiques isolés pour révéler des structures expressives cohérentes. Cette méthode pourrait être appliquée à l’étude des gestes d’autres interprètes, notamment dans le domaine des enregistrements anciens. Enfin, l’un des apports majeurs de cette recherche réside dans la transformation de la pratique violonistique de l’autrice, révélant le potentiel des démarches historiques pour nourrir la création contemporaine.
At the intersection of arts and science, this thesis highlights the potential of performer’s creativity, still underappreciated in contemporary scholarship, as a legitimate subject of academic research. It focuses on the violinistic gestures of Eugène Ysaÿe (1858–1931), considered as acts of ‘surcréation’ (a concept formulated by Ysaÿe himself) in which the performer becomes a co-creator of music, rather than a neutral carrier of composer’s ‘intentions’. The research draws upon an analysis of the material traces of Ysaÿe’s gestures, including acoustic recordings (Columbia, 1912–1914) and manuscript annotations, examined within their appropriate organological and technical contexts. These sources, often neglected by both musicologists and practitioners, are re-evaluated here as active witnesses to musical practice. In order to engage with them effectively, the study employs a multi-methodological approach, encompassing systematic analysis (including computational tools), archival research, ‘historically informed recording’, violinistic ‘emulation’, and self-reflective study. Building on current scholarship in musical gesture, the thesis reconceptualises violinistic gesture as a pattern of action through which the performer shapes a musical motif. These theoretical insights are exemplified through a series of specific Ysaÿe’s gestures identified in the sources, each embodying its own interpretative logic. This leads to a renewed framework for analysing musical interpretation – one that transcends the examination of isolated stylistic features to reveal coherent expressive structures. The proposed approach is potentially transferable to the study of other performers’ gestures, particularly within the context of early sound recordings. A key contribution of this thesis lies in its transformative impact on the author’s own violinistic practice, demonstrating the capacity of such historical approaches to enrich contemporary artistic creation.