Article révisé par les pairs
Résumé : Fondé en 1908, Corriere dei Piccoli émerge à un moment particulier de l’histoire italienne, caractérisé par la convergence de la culture populaire et de nouvelles pratiques industrielles et culturelles qui annoncent le futur avènement des médias de masse (Colombo, 1999). En étudiant les premières décennies (1908-1931) de ce périodique renommé, cet article reconstitue les processus de remédiation qui ont façonné son format de publication, en le reliant à une longue tradition de pratiques orales et performatives. En effet, Corriere dei Piccoli a « remédié » (Bolter & Grusin, 2003) l’ancienne tradition orale des « cantastorie » (artistes itinérants qui racontaient ou chantaient des histoires sur les places publiques, en s’aidant d’affiches peintes représentant des scènes clés de leurs récits), dont les performances ont eu un impact significatif sur les structures formelles et sur les modes de signification du magazine. Ce processus a fait se rencontrer d’anciennes traditions narratives et un paysage médiatique nouveau, mêlant liberté, futurisme, représentations théâtrales et tradition littéraire. Né dans ce contexte, Corriere dei Piccoli est l’un des sites privilégiés d’où l’on peut observer le difficile processus de modernisation en Italie (Brancato, 2008).En outre, l’article porte sur les pratiques éducatives liées à l’oralité et à la performance. Notre thèse principale est que le magazine atteint un équilibre entre la pédagogie traditionnelle, le divertissement multimédia/multimodal et la « commodification ». Les légendes rimées utilisées dans les bandes dessinées révèlent l’attention portée à l’alphabétisation des jeunes lecteurs et soulignent la responsabilité des parents, ou des frères et sœurs plus âgés, dans l’accompagnement (ou le « chaperonnage », selon Joe Sutliff Sanders, 2013) de leur activité de lecture. Avec la même ambition éducative, le magazine développa, dans ses premières années de publication, une rubrique de courrier des lecteurs où la figure médiatrice de Paola Lombroso promouvait activement la lecture et l’écriture, par le biais d’un dialogue avec le lectorat de Corriere dei Piccoli. Cependant, le format très particulier des bandes dessinées de l’hebdomadaire ne visait pas seulement à éduquer les enfants, mais leur proposait également un mode de vie plus consumériste, ce qui, d’une part, tendait à les réifier et, d’autre part (dans une perspective d’éducation aux médias avant l’heure), leur fournissait des outils pour comprendre et naviguer dans le paysage médiatique de l’époque.