Résumé : Le premier objectif de cette thèse était de développer deux méthodes de quantification novatrices d’anti-infectieux afin d’implémenter leur suivi thérapeutique pharmacologique (TDM) en Belgique. Les antibiotiques concernés par ces dosages étaient d’une part un panel des principaux antituberculeux utilisés pour traiter une infection aux bacilles appartenant au complexe Mycobacterium tuberculosis et d’autre part la colistine, une polymyxine jugée comme traitement antimicrobien de dernier recours face à des bactéries à Gram-négatif multi-résistantes. Dans un second temps, ce travail de recherche a visé à investiguer leur liaison protéique dans l’espoir de prédire leur concentration libre et d’établir l’intérêt de cette dernière pour individualiser davantage leur thérapie.Concernant le TDM des antituberculeux, la méthode de quantification développée en LC-MS/MS a permis pour la première fois la quantification simultanée des quatre anti-infectieux de 1ère ligne (éthambutol, isoniazide, pyrazinamide et rifampicine), d’un métabolite majeur de l’isoniazide (acétylisoniazide) et des principaux anti-infectieux de 2ème ligne (bédaquiline, lévofloxacine, linézolide, moxifloxacine et rifabutine), en incluant un standard isotopique par composé. Le domaine de mesure était en adéquation avec les impératifs cliniques et présentaient des performances analytiques satisfaisantes. Cette méthode a permis de réaliser un TDM chez 48 patients souffrant de tuberculose multi-sensible et démontré l’importance de réaliser une mesure de l’exposition globale du patient plutôt qu’un dosage isolé au pic plasmatique, en particulier chez les patients à risque de malabsorption ou présentant une mauvaise évolution clinique.La liaison protéique des antituberculeux a été explorée par la méthode d’ultrafiltration. Pour les anti-infectieux de première ligne, cette étude s’est déroulée sur échantillons enrichis (in vitro) et sur échantillons cliniques (considérée in vivo) provenant de 36 patients. Pour ceux de seconde ligne, les observations faites reposaient exclusivement sur des échantillons enrichis. Cette approche a permis d’étudier rapidement un large domaine de concentrations ainsi que des paramètres biochimiques d’intérêt (albumine, α1-glycoprotéine acide et protéines totales). Les échantillons cliniques ont permis de corroborer les observations faites in vitro pour les anti-infectieux de première ligne et d’investiguer en plus l’impact du sepsis (C-reactive protein) et de la fonction rénale (créatinine). L’étude de ces paramètres biochimiques, en particulier l’albumine à des taux compatibles avec un déficit modéré (<30 g/L) à sévère (<25 g/L), était novatrice pour ces anti-infectieux.Les taux de liaison médians observés in vivo étaient de 0,5% pour l’éthambutol, 9,9% pour l’isoniazide, 0,7% pour le pyrazinamide et 88,9% pour la rifampicine ; ceux observés in vitro étaient de 26,2% pour la lévofloxacine, 12,8% pour le linézolide et 46,3% pour la moxifloxacine. L’investigation de leur liaison protéique, réalisée sur échantillons enrichis et/ou cliniques, a objectivé un intérêt limité à mesurer la concentration libre pour l’éthambutol, le pyrazinamide, l’isoniazide, la lévofloxacine, le linézolide et la moxifloxacine, principalement car la concentration totale était un reflet acceptable de la concentration libre. Pour la rifampicine, une très forte dépendance entre le taux de liaison et la concentration en albumine a été observée, démontrant un intérêt majeur à mesurer la concentration libre qui était non prédictible car son taux de liaison protéique chutait drastiquement en cas d’hypoalbuminémie. Cette tendance, caractérisée de manière extensive sur échantillons enrichis mais limitée sur échantillons cliniques, nécessiterait une confirmation sur une cohorte de patients plus importante. Ensuite, l’établissement d’un algorithme d’adaptation posologique, reposant sur le taux d’albumine plutôt que la concentration libre, permettrait un suivi aisé et une adaptation rapide des doses en s’affranchissant de la mesure d’un paramètre spécialisé. Pour les fluoroquinolones et le linézolide, l’investigation de la liaison protéique, reposant exclusivement sur des observations in vitro, requérerait une confirmation sur échantillons cliniques.Concernant le TDM de la colistine, la méthode de quantification développée en LC-MS/MS garantissait une conversion minime de la pro-drogue administrée au patient durant le protocole de traitement des échantillons et un domaine de mesure des colistines A et B compatible avec la cible thérapeutique et la mesure de leurs concentrations libres. Les performances analytiques étaient satisfaisantes. Durant sa période de mise en routine, 504 demandes de dosages ont été adressées au laboratoire, ce qui a permis d’objectiver le pourcentage de prélèvements avec des taux inadéquats. En effet, 64% des échantillons présentaient des concentrations subthérapeutiques (<2,0 mg/L) et 28% des taux susceptibles de provoquer une néphrotoxicité chez le patient (>2,5 mg/L). Ces résultats appuyaient donc les recommandations émises par un consensus d’experts sur les polymyxines qui ont identifié le TDM comme un outil complémentaire indispensable pour l’individualisation de la thérapie et l’amélioration des chances de succès de la thérapie.L’étude de la liaison protéique de cet anti-infectieux a été réalisée par la méthode d’ultrafiltration. Aucune donnée n’était disponible dans la littérature pour décrire la liaison protéique en fonction de paramètres biochimiques jugés pertinents (albumine, α1-glycoprotéine acide, protéines totales, C-reactive protein et créatinine). Cette investigation a donc été menée sur des échantillons cliniques de patients traités par colistine (n=30). Les taux de liaison médians étaient de 65,7% pour la colistine A, 46,6% pour la colistine B et 60,4% pour la colistine A+B. Leur liaison protéique était caractérisée par une grande variabilité qu’aucune des covariables investiguées n’a permis d’expliquer. Par conséquent, la concentration libre de cette polymyxine n’était pas prédictible et la concentration totale semblait être un reflet inadéquat de celle-ci. En conclusion, la concentration libre serait un paramètre plus sensible que la concentration totale pour détecter des taux circulants inadéquats et permettre une adaptation plus fine de la dose journalière administrée.