Résumé : Les conséquences d'un violation grave d'une norme impérative de droit international – ou norme de jus cogens – ne peuvent pas être reconnues. Il s'agit là d'une manifestation de l'obligation coutumière internationale de non-reconnaissance. On pense par exemple à l’interdiction de reconnaître les conséquences d’un recours illicite à la force, d’une annexion d'un territoire ou de l'entrave au droit des peuples à l'autodétermination. Loin d'être absolue, l’obligation de non-reconnaissance admet des aménagements. Il est ainsi traditionnellement enseigné que des documents tels que des actes de mariage, naissance ou décès, délivrés par exemple par une autorité née en violation grave d'une norme de jus cogens, peuvent se voir reconnaître des effets juridiques. On peut penser, par exemple, à certains documents d'identité délivrés par les autorités contrôlant la Crimée depuis son annexion par la Fédération de Russie en 2014. La doctrine explique généralement cette possibilité par le respect des droits humains des populations vivant sur le territoire occupé : c'est dans leur intérêt ou afin de protéger leurs droits fondamentaux que ces documents doivent être reconnus ou que certaines relations – de type coopération humanitaire – doivent être établies avec les autorités de facto de ces territoires.La thèse a pour ambition d'exposer que cet argument justifiant la reconnaissance de conséquences d'une violation grave d'une norme de jus cogens est propre à une partie de la jurisprudence internationale et de la doctrine internationaliste. En examinant un ensemble de discours reflétant la pratique judiciaire et exécutive nationale, la thèse montre que cet argument est en réalité peu présent dans la pratique étatique nationale.À l'exception peut-être de l'État qui a lui-même initialement violé la norme de jus cogens, et de l'État de facto qui en résulte, les autres États mobilisent peu – voire pas du tout – l'argument du respect des droits humains des populations locales afin de reconnaître des actes adoptées par une entité internationalement illicite.Il en ressort que l’opposition irréductible entre obligation de non-reconnaissance, d’une part, et droits humains des populations locales, d’autre part, est un prisme d’analyse employé par certains acteurs sur la scène internationale dans des contextes bien déterminés (doctrine internationaliste, Cour européenne des droits de l’Homme). Les États, que cela soit par l’entremise de leurs juges nationaux ou de leur exécutif, emploient généralement d’autres prismes d’analyse (règles de droit interne, règles de droit international ne faisant pas référence aux droits humains, protection des droits humains de populations qui ne vivent pas sur le territoire occupé), ce qui pousse à relativiser le souci de protection des droits humains des populations locales parmi les arguments avancés pour justifier la reconnaissance ou la non-reconnaissance d’actes résultant d’une violation grave d’une norme de jus cogens.