Résumé : La thèse repose sur l’articulation entre approches ethnographique et sociohistorique. Elle a pour intention de démontrer que, premièrement, la création d’une politique locale de la jeunesse dans le quartier de La Docherie à Charleroi, gagne à s’appréhender par le prisme d’un processus d’industrialisation/désindustrialisation par lequel dialoguent les recompositions du quartier et le problème social des jeunes. Ainsi, on peut saisir toute la singularité du Groupe Porteur de Marchienne Docherie, composé des organisations psycho-médicosociales qui interviennent localement mais aussi de leur projet collectif qui prendra l’appellation Espace Jeunes. Si Espace Jeunes est l’aboutissement d’une succession de « dispositifs » (Agamben, 2014) d’accompagnement, y parvenir n’est en rien fluide ou évident. Les tentatives d’encadrement successives montrent l’émergence de « relations spécifiques » (Loncle, 2011) entre les partenaires locaux et d'initiatives constamment recomposées, vers la constitution d’une tentative ultérieure.En somme, si le Groupe Porteur exprime une certaine « tradition » (Loncle, 2011) à intervenir, l’ancrage historique révèle non seulement l’existence de nombreuses « expériences » (Dewey, 2005 ; Zask, 2001) et de leurs reconfigurations au gré des recompositions du quartier et du problème social des jeunes, mais assoit aussi tout particulièrement la légitimité d’un savoir et d’une volonté d’intervenir auprès de la jeunesse du quartier. Deuxièmement, mener collectivement un projet, ayant pour objectifs de mieux connaître et accompagner la jeunesse locale, représente l’aboutissement de la redéfinition du problème social des jeunes par le Groupe Porteur. Après en avoir défini les « manques », l’assemblée, inaugure le « dispositif » Espace Jeunes, pour capter, mieux connaître et le cas échéant, modifier les conduites des jeunes du quartier. Sa légitimité qui repose sur un savoir au sujet des jeunes et sur les « expériences » précédentes, oriente le « dispositif », réinstaure un rapport entre, « ceux qui savent » - des travailleurs sociaux « experts » - et, « ceux qui ignorent » - des jeunes « profanes » (Hache, 2011 ; Roland, 2013).Cependant, les appropriations et les « traversées » (Zitouni, 2004) juvéniles montrent que le « dispositif » ne se construit pas uniquement depuis ce qui a été pensé par le Groupe Porteur ou ce qui est entrepris par les travailleurs sociaux mandatés à son fonctionnement. Il représente une « expérimentation » (Zask, 2001) qui jalonne entre coexistence au sein du local dévolu aux permanences et développement du travail social à destination des jeunes.Ainsi, plusieurs temps de recomposition/appropriation façonnent Espace Jeunes tel un « dispositif expérience » et montre la déstabilisation du rapport « expert » / « profane » initial. La co-construction du travail social prend corps à travers la « dimension transactionnelle » (Zask, 2001) qui s’observe dès l’inauguration du « dispositif ». Espace Jeunes ne se limite donc pas à représenter un espace où des travailleurs sociaux « savent ce qui est bien pour » des jeunes au parcours chahuté. Espace Jeunes s’imbrique au quartier, dans les trajets des jeunes, qu’ils le fréquentent avec intensité ou pas, qu’ils l’utilisent de multiples façons et selon des modalités souvent inattendues, qui correspondent ou non avec ce qui est pensé par les travailleurs sociaux mais qui se font, défont et refont, constamment. Une multitude de connexions entre travailleurs sociaux et jeunes qui coproduit un accompagnement bricolé, toujours « en train de se faire » (Zask, 2001) et sans préfigurer de ce qu’il adviendra. En cela, le « dispositif » devenu « dispositif expérience » est aussi un « évènement moral » (Hache, 2011).