Résumé : IntroductionDepuis plus de deux décennies, l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) est plongé dans une crise complexe. Cette crise a été occasionnée par une instabilité politique depuis les années 1990, avec des conflits armés à répétition. Le nombre élevé de décès et de personnes déplacées dans cette région est la conséquence rapidement visible de cette crise. Aussi, le système de santé est l’une des cibles de ces conflits armés. Les trois provinces de la RDC les plus concernées par cette crise sont le Nord-Kivu, l’Ituri et le Sud-Kivu.Les hypothèses que sous-tendent cette recherche sont que la population vivant dans les zones de santé (ZS) les plus touchées par les conflits armés au Sud-Kivu aurait un plus mauvais état que dans les ZS moins ou non touchées. Ces ZS, même en étant également cibles des attaques, arriveraient à mettre en place des mécanismes d’adaptation. Cela dans l’objectif de continuer à offrir les soins de base à l’ensemble de sa population et d’améliorer son efficacité. Néanmoins, ces mécanismes ne sont pas suffisants pour que ces ZS instables soient résilientes face aux différentes crises qu’elles subissent. L’analyse de ces hypothèses, par les différentes études, permettrait de formuler des recommandations pour développer la résilience des ZS instables en RDC.MéthodologieL’approche méthodologique générale de cette recherche est faite d’une étude transversale et de deux études de cas multiples. La ZS, unité fonctionnelle du système de santé congolais, a été considérée comme « cas ». Une typologie des cas, selon leur niveau d’atteinte par les conflits armés, a été réalisée pour distinguer quatre types de ZS : les ZS stables accessibles, les ZS stables enclavées, les ZS intermédiaires et les ZS instables. Des techniques mixtes (quantitatives et qualitatives) ont été utilisées pour la collecte des données. Les sources de ces données étaient : (1) une enquête populationnelle mesurant l’état de santé globale de la population, utilisant le WHO Disability Assessment Schedule (WHODAS), (2) les données secondaires du système d’information sanitaire de la RDC (DHIS2), (3) la revue documentaire de certains rapports des ZS, de la division provinciale de la santé et des organisations non gouvernementales, et (4) des entretiens individuels semi-structurés avec des informateurs clés. Des analyses descriptives et de tendances, un modèle de régression logistique hiérarchique et des analyses thématiques (déductive-inductive) ont été effectués.RésultatsL’étude transversale a montré que la population se trouvant dans les ZS instables avait un très mauvais état de santé (càd un score de WHODAS très élevé). Les domaines les plus altérés étaient la réalisation des tâches quotidiennes, la cognition, la mobilité et la vie en société. Les facteurs significativement associés à un état de santé globalement mauvais étaient : l'âge avancé, le sexe féminin, être membre d'une association, être divorcé(e)/séparé(e) ou veuf(ve) et le fait de vivre dans une ZS plus instable. La population vivant dans la ZS stable enclavée avait un état de santé comparable à celle de la ZS intermédiaire.La première étude de cas a comparé quatre ZS typiques de chaque classe. Des événements liés aux conflits (guerre et ses effets) ou non (épidémies, catastrophes, grèves du personnel) ont été enregistrés en fonction du profil des ZS. Les ZS les plus touchées par les conflits armés avaient parfois des meilleurs indicateurs de performance que les ZS stables. Cette bonne performance était plus remarquée lorsque les subventions des organisations non gouvernementales (ONG) à la ZS étaient élevées. Néanmoins, ces ZS instables n’atteignaient pas la norme de réalisation des activités prévues dans leur plan d'action opérationnel. Les mécanismes d'adaptation développés dans ces ZS étaient : le déploiement d'infirmiers militaires dans des activités de prévention et de supervision, la sollicitation de subventions auprès des ONG, la délocalisation des structures de santé et la mise en place de stratégies de négociation avec les belligérants.La deuxième étude de cas a exploré la capacité de résilience de ZS la plus instable et de la ZS la plus stable. Bien qu’ayant en commun certains mécanismes d’adaptation (plan de gestion des épidémies, comité de gestion de crise,…), la ZS instable a mis en place d’autres mécanismes de d’adaptation spécifiques. Il s’agissait de : (i) l’implication des forces armées de la RDC , (ii) la mise en place d’alternatives de soins pour la population (sites de soins communautaires, cliniques mobiles), (iii) un système d’alerte particulier (numéro vert au bureau de la ZS et infirmier militaire comme pont entre la ZS et les aires de santé affectées par la crise), (iv) l’évaluation et le suivi régulier des besoins des déplacés, et (v) et la promotion des activités renforçant la cohésion sociale. Ces mécanismes traduisent un niveau de résilience minimale réductive, comportant plusieurs limites. Parmi ces limites, on a : l’absence d’un plan de résilience lors des conflits armés, le manque de ressources en réserve avant les crises, la faible évaluation des décisions prises lors de la gestion des crises, la faible attention à l’égard du personnel de santé travaillant dans des conditions très difficiles et la quasi-absence de l’implication d’autres secteurs dans la gestion des crises.Conclusions et recommandationsLes ZS instables mettent en place certains mécanismes de résilience pour répondre aux besoins de la population en mauvais état de santé. Cependant, il s’agit d’une résilience minimale réductive, ayant plusieurs limites. Pour avoir un niveau de résilience plus complète (résilience organisationnelle avec dividende), les ZS doivent être mieux dotées en ressources avant la crise. Si cette condition est remplie, la qualité des soins pourrait s'améliorer et des réserves pourraient être créées pour faire face à la crise. Si l'amélioration de performance encourage les partenaires à aligner leurs contributions sur le plan d’action opérationnel de la ZS et que cela attire le soutien politique, la résilience sera meilleure. Ainsi, pour renforcer le système de santé en RDC nous recommandons : (1) au niveau national, d’élaborer un plan avec des stratégies innovantes pour améliorer la gouvernance des ZS en crise et enclavées. Ce plan aura comme objectif de définir une politique de génération et réorganisation des ressources locales pour appuyer le système de santé, et de redéfinir le processus de financement des ZS par les PTF tenant compte du contexte; (2) au niveau provincial, de s’approprier les stratégies du plan national en adoptant un système de surveillance des ZS en crise et enclavées, grâce aux indicateurs de fragilité et de résilience. Aussi, de veiller à l’encadrement du personnel de santé travaillant dans ces contextes pour améliorer la qualité de soins avant, pendant et après les crises ; (3) au niveau opérationnel, de définir des scénarii de riposte aux crises ainsi que de promouvoir l’apprentissage continu pour être mieux préparer et améliorer la performance dans les ZS instables et enclavées.
IntroductionFor more than two decades, the eastern Democratic Republic of Congo (DRC) has been plunged into a complex crisis. This crisis has been caused by political instability since the 1990s, with repeated armed conflicts. The high number of deaths and displaced people in the region is a rapidly visible consequence of this crisis. The health system is also one of the targets of these armed conflicts. The three provinces of the DRC most affected by this crisis are North Kivu, Ituri and South Kivu.The hypotheses underlying this research are that the population living in the health zones (HZ) most affected by the armed conflicts in South Kivu is in worse condition than in the HZ that are less affected or not affected at all. Even though these health zones are also targets of attacks, they manage to put coping mechanisms in place. The aim is to continue offering basic healthcare to the entire population and to improve efficiency. However, these mechanisms are not sufficient to ensure that these unstable health zones are resilient in the face of the various crises they experience. The analysis of these hypotheses by the various studies will make it possible to formulate recommendations for developing the resilience of unstable health zones in the DRC.MethodologyThe general methodological approach of this research is based on a cross-sectional study and two multiple case studies. The HZ, functional unit of the Congolese healthcare system, was considered as a ‘case’. A typology of cases, according to their level of impact by armed conflict, was drawn up to distinguish four types of HZ: accessible stable HZs, remote and stable HZs, intermediate HZs and unstable HZs. Mixed techniques (quantitative and qualitative) were used to collect the data. The data sources were: (1) a population-based survey measuring the overall health status of the population, using the WHO Disability Assessment Schedule (WHODAS), (2) secondary data from the DRC's health information system (DHIS2), (3) document review of selected reports from the HZs, the provincial health division and non-governmental organisations, and (4) semi-structured individual interviews with key informants. Descriptive and trend analyses, a hierarchical logistic regression model and thematic analyses (deductive-inductive) were carried out.ResultsThe cross-sectional study showed that the population living in unstable health zones had a very poor state of health (i.e. a very high WHODAS score). The domains most affected were performance of daily tasks, cognition, mobility and social life. The factors significantly associated with an overall poor state of health were: older age, being female, being a member of an association, being divorced/separated or widowed, and living in a more unstable health zone. The population living in the remote stable health zone had a health status comparable to that of the intermediate health zone.The first case study compared four HZs typical of each category. Conflict-related events (war and its effects) and non-conflict-related events (epidemics, disasters, staff strikes,...) were recorded according to the HZ profile. The HZs most affected by armed conflict sometimes had better performance indicators than the stable HZs. This good performance was more pronounced when non-governmental organisation (NGO) subsidies to the HZs were high. Nevertheless, these unstable HZs did not meet the standard for carrying out the activities set out in their operational action plan. The coping mechanisms developed in these HZs were: the deployment of military nurses in prevention and supervision activities, the solicitation of subsidies from NGOs, the relocation of health facilities and the implementation of negotiation strategies with the belligerents.The second case study explored the resilience capacity of the most unstable HZ and the most stable HZ. Although they had certain coping mechanisms in common (epidemic management plan, crisis management committee, etc.), the unstable HZ had put in place other specific coping mechanisms. These included (i) the involvement of the DRC's armed forces, (ii) the setting up of alternative care facilities for the population (community care sites, mobile clinics), (iii) a special alert system (toll-free number at the HZ office and military nurse as a bridge between the HZ and the health areas affected by the crisis), (iv) the assessment and regular monitoring of the needs of displaced people, and (v) and the promotion of activities to strengthen social cohesion. These mechanisms reflect a minimal level of resilience, with several limitations. These limitations include: the absence of a resilience plan during armed conflicts, the lack of resources in reserve before crises, the poor evaluation of decisions taken during crisis management, the lack of attention towards health personnel working in very difficult conditions and the almost total absence of involvement of other sectors in crisis management.Conclusions and recommendationsUnstable HZs are developing certain resilience mechanisms to meet the needs of the population in poor health. However, this is a reductive minimum resilience, with several limitations. To achieve a more complete level of resilience (organisational resilience with a dividend), the health zones need to be better resourced before the crisis. If this condition is met, the quality of care could improve and reserves could be created to cope with the crisis. If improved performance encourages partners to align their contributions with the HZ's operational action plan and this attracts political support, resilience will be enhanced. In order to strengthen the health system in the DRC, we therefore recommend: (1) at national level, to draw up a plan with innovative strategies to improve the governance of health zones in crisis and isolated areas. The aim of this plan will be to define a policy for generating and reorganising local resources to support the health system, and to redefine the process for financing the health zones by the technical and financial partners, taking account of the context; (2) at provincial level, to adopt the strategies of the national plan by adopting a system for monitoring health zones in crisis and isolated areas, using fragility and resilience indicators. It should also provide training for health staff working in these areas to improve the quality of care before, during and after crises; (3) at operational level, to define crisis response scenarios and promote continuous learning in order to be better prepared and improve performance in unstable and landlocked areas.