Résumé : Cette thèse porte sur les « campagnes d’information et de sensibilisation » sur la migration financées par l’Union européenne (UE) et ses États membres (EM) en Afrique de l’Ouest. Il s’agit d’un instrument de dissuasion migratoire, utilisé par l’UE depuis les années 1990, dont le but est de freiner l’immigration irrégulière en tentant de décourager les « migrants potentiels ». A partir d’une perspective ancrée dans la sociologie politique et l’instrumentation de l’action publique, cette thèse s’intéresse à ces campagnes en tant qu’outil de gouvernement par lequel l’UE entre en contact avec les populations ouest-africaines pour tenter d’influencer, à distance, leurs aspirations et leurs comportements. Le point de départ de cette recherche est un paradoxe : depuis 2015, ces campagnes ont connu un essor sans précédent au sein de la politique migratoire européenne, alors que leur effet dissuasif demeure indémontré et contesté. Le premier enjeu de cette thèse est dès lors d’expliquer cet essor, en s’intéressant non pas à la réception de ces campagnes par leur public, mais au processus de fabrique collective de cet instrument, fait d’allers-retours entre l’UE et l’Afrique de l’Ouest. Le deuxième enjeu de cette thèse est ensuite de comprendre les effets de cet essor de l’instrument sur la politique migratoire européenne elle-même, en montrant la façon dont il influence la conduite de cette politique.Pour ce faire, cette thèse se base sur une enquête qualitative multi-située, qui permet d’appréhender ces campagnes à la fois depuis l’UE et depuis deux contextes prioritaires pour leur mise en œuvre, le Sénégal et le Niger. Les résultats de cette enquête montrent que l’essor politique de ces campagnes depuis 2015 est indépendant de leur efficacité dissuasive inconnue, mais s’explique par la capacité propre à cet instrument de répondre aux attentes divergentes et de servir les intérêts conflictuels des décideurs politiques européens, d’experts internationaux, et des nombreux utilisateurs de cet instrument en Afrique de l’Ouest. Ils montrent en outre que les enjeux liés à concrétisation de ces campagnes sur le terrain contribuent à transformer la politique migratoire européenne à trois niveaux. D’abord, ces campagnes présentées par l’UE comme un instrument visant à informer les migrants potentiels impliquent en réalité une entreprise de dissimulation de la dissuasion migratoire. Ensuite, elles témoignent d’une évolution des enjeux de la politique migratoire européenne, depuis une logique de prévention de l’immigration irrégulière, vers une logique d’immobilisation des populations. Enfin, elles incarnent l’émergence d’une nouvelle ambition politique, par laquelle l’UE revendique non plus seulement le monopole des moyens légitimes de circulation, mais également celui des idées légitimes que les citoyens africains peuvent formuler en matière d’im/mobilité.