par Sizaire, Laure
Référence Politiques de l’interaction. Relire Goffman sous l’angle du politique (Novembre 2022: EHESS Campus Condorcet)
Publication Non publié, 2022-11
Communication à un colloque
Résumé : Lorsque les relations intimes hétérosexuelles se nouent sur la scène internationale, « faire le genre » peut se révéler une tâche ardue (West et Zimmerman 1987). Les partenaires en présence ne maitrisent en effet pas les mêmes normes, ce qui peut entrainer une divergence des réflexivités institutionnelles. Autrement dit, les règles pratiques des régimes de genre mises en acte dans certains cadres d’expérience génèrent parfois une dé-coordination entre femmes postsoviétiques et hommes français puisque, dans certaines situations sociales, les comportements de genre attendus font défaut. Les interactions intimes et amoureuses peuvent alors prendre des tournures inattendues, déstabilisantes et, pour le dire avec les mots de l’ethnométhodologie, parfois indescriptibles, notamment aux yeux des femmes postsoviétiques.Cette communication vise à explorer la diversité des arrangements et dérangements intimes, amoureux, conjugaux et matrimoniaux, qui s’observent chez les couples franco-postsoviétiques, pour ce qu’ils mettent en lumière : la mise à l’épreuve d’un ordre de genre précaire et d’autant plus instable qu’il cherche à s’actualiser au-delà des frontières. En éprouvant la vulnérabilité de l’ordre social, les acteurs et actrices développent des compétences critiques et des capacités d’analyse qui leur permettent d’une part, de soumettre à la discussion les normes, de les dénaturaliser et de justifier celles qui leur semblent les meilleures et, d’autre part, de passer leurs expériences et leurs pratiques au crible de la comparaison transnationale, en particulier celles liées à l’organisation des rapports de genre. Depuis leurs expériences conjugales et nationales, hommes français et femmes postsoviétiques mettent en mot l’arrangement des sexes (Goffman 1977) parfois pour le soutenir, parfois pour le critiquer ; mais cette mise en discours n’émerge pas de nulle part et n’est pas gratuite : elle s’ancre au contraire dans des expériences pratiques et quotidiennes qui consistent à (dé)faire le genre (Butler 2006). Ce processus sera la ligne directrice de cette communication : nous verrons comment les actrices et acteurs se confrontent dans leurs interactions intimes à des modes de fonctionnement nouveaux, qui ne répondent pas aux règles pratiques qu’ils et elles ont connues à la fois dans les relations conjugales mais aussi, plus largement, dans les relations en public (Goffman 1973).Ce propos s’appuie sur une recherche doctorale qui a étudié la conjugalité transnationale à partir du cas des couples franco-postsoviétiques. Les entretiens biographiques conduits avec des femmes postsoviétiques et des hommes français, vivant aussi bien en France que dans les pays postsoviétiques, ont permis de récolter des comptes rendus d’interactions effectués par les personnes elles-mêmes. Ces scènes qui les ont marqué·es, souvent décrites en détail, témoignent des « ruptures de cadre » (Goffman, 1974) survenant dans les interactions intimes globalisées. Face à ces « micro-épreuves », les enquêté·es font ensuite des bilans à l’appui des connaissances acquises non seulement sur les hommes français et sur les femmes postsoviétiques mais aussi et surtout, sur les rapports de genre « en général ».