Résumé : Dans le contexte socio-politique belge pressant d’Ageing in place, les innovations qui émergent en réponse à l’évolution rapide des demandes et besoins de care des personnes âgées, offrent l’occasion d’étudier les transformations des conditions et d’organisation de travail du champ d’activités du care et des services d’aide et de soins à domicile, ainsi que l’état de santé et de bien-être des travailleuses du care. Dans des services où le pouvoir décisionnel est généralement concentré vers le sommet des organisations, la place de la participation directe des travailleuses aux processus décisionnels concernant leur travail constitue un enjeu qui peut avoir un impact tant sur leur santé et leur bien-être, que sur leur engagement sur le terrain et la qualité des services du care.L’objectif global de la thèse est d’analyser l’impact de la participation aux processus décisionnels sur la santé et le bien-être des travailleuses du care à domicile des personnes âgées, dans un contexte socio-politique pressant d’Ageing in place.La thèse s’inscrit dans une recherche interdisciplinaire, partenariale et interuniversitaire, appelée WISDOM, réalisée principalement en région Wallonne, et possède la particularité de bénéficier d’un ancrage sur le terrain avec les acteurs concernés par le vaste champ d’activités du care et des services d’aide et de soins à domicile, ayant développé des innovations sociales pour l’Ageing in place (le vieillissement chez soi).La finalité de la thèse est d’enrichir la littérature scientifique en santé publique sur les plans scientifique, pratique et politique. En effet, il s’agit de documenter un champ d’activités insuffisamment étudié pour ses enjeux de santé au travail et de participation en produisant une contribution scientifique par rapport aux modèles théoriques existants sur lesquels nous nous appuyons, à savoir, les modèles Job Demand-Control-Support et Job Demand-Resource, dans le cadre d’une approche de promotion de la santé au travail.Afin d’atteindre notre objectif de recherche, nous avons réalisé trois études empiriques successives en exploitant une méthodologie fondée sur une recherche par méthodes mixtes [qualitative et quantitative] et participatives. Sur base d’un terrain d’étude élargi constitué de 42 innovations sociales favorisant l’Ageing in place, issu de la recherche WISDOM, nous avons réalisé une étude qualitative par questionnaires auto-administrés et workshop auprès d’experts du champ d’activités du care à domicile des personnes âgées (Etude 1) ; une analyse de deux cas d’étude par recherche participative employant la méthode d’analyse en groupe avec des travailleuses du care au sein de deux organisations offrant des services d’aide et de soins à domicile ainsi qu’une triangulation méthodologique et de participants (Etude 2) ; et enfin, une étude observationnelle transversale par questionnaire auto-administré sur un échantillon de 1134 travailleurs et travailleuses émanant de dix organisations dans le champ d’activités du care à domicile et des services d’aide et de soins à domicile en Wallonie et à Bruxelles (Etude 3).Les résultats transversaux de notre recherche ont révélé une exacerbation des conditions de travail difficiles dans les services d’aide et de soins à domicile en raison d’une intensification de l’organisation de travail (charge et rythme de travail). Ceci est généré par un contexte socio-politique pressant d’Ageing in place à travers lequel les organisations doivent répondre à un impératif normatif de satisfaction des demandes croissantes de care des personnes âgées et de leurs aidants proches. Ces conditions de travail ont impacté négativement la santé et le bien-être des travailleuses du care, la qualité humaine de la relation de care avec les personnes âgées ainsi que la viabilité des services innovants. En outre, nos analyses transversales ont mis en évidence que la participation aux processus décisionnels est quasi absente dans le champ d’activités du care et en particulier dans les services d’aide et de soins à domicile, qu’il s’agisse de décisions relatives à l’organisation du travail, aux stratégies de l’organisation telles que les objectifs de production de services et d’innovation, ou aux tâches discrétionnaires dont la latitude décisionnelle est restreinte. Nos observations ont ainsi mis en évidence l’existence d’une tension forte et d’un déséquilibre entre la satisfaction des demandes des bénéficiaires contribuant à leur bien-être, la préservation de la santé et du bien-être des travailleuses du care et l’atteinte des intérêts stratégiques des organisations. Enfin, la thèse a permis de rendre compte du potentiel bénéfique de la participation aux processus décisionnels des travailleuses du care et de son apport dans la régulation des tensions identifiées et dans l’amélioration de leur santé et de leur bien-être.Afin de contribuer à la littérature scientifique à travers ce travail doctoral et en vue de proposer des implications pratiques pour les acteurs de terrain et les pouvoirs publics, nous avons construit un modèle d’analyse de santé au travail, le Squeezed Lemon Model. Ce modèle circonscrit l’ensemble de nos résultats discutés à la lumière de la littérature scientifique et ouvre des perspectives intéressantes sur l’analyse des conditions de travail et leur impact sur la santé des travailleuses, et sur des recommandations pour la mise en place de démarches participatives au sein des organisations. Il requiert d’être testé dans d’autres études scientifiques afin de le mettre à l’épreuve et de le rendre plus robuste. La thèse participe ainsi de manière significative à enrichir la littérature scientifique sur la question de la participation aux processus décisionnels dans le domaine de la santé au travail.