Thèse de doctorat
Résumé : Les mécanismes épigénétiques médient les interactions entre les gènes et l’environnement en intégrant des stimuli environnementaux dans des changements de l'expression génique (et du phénotype), sans altérer l'ADN. Par conséquent, ils sont essentiels au développement de plusieurs phénotypes distincts à partir d’un même génotype (plasticité phénotypique).Les Hyménoptères sociaux illustrent particulièrement bien ce phénomène. Ils vivent en sociétés composées de groupes d'individus qui diffèrent par leur morphologie, leur physiologie et leur comportement - les castes (reines et ouvrières). Les reines, de grande taille, vivent plusieurs années et monopolisent la reproduction, tandis que les ouvrières, plus petites, ne vivent que quelques mois et assurent les tâches logistiques nécessaires à l’essor de la colonie. Malgré leurs différences phénotypiques, les reines et les ouvrières partagent généralement le même génome, qui est exprimé différentiellement en fonction des conditions environnementales lors de leur développement. Les mécanismes épigénétiques sont donc des candidats de choix pour réguler le phénotype chez les Hyménoptères sociaux.Cette thèse a exploré le rôle de la méthylation de l'ADN, une marque épigénétique, sur certains traits de caractère liés à l'organisation sociale des Hyménoptères sociaux : 1) la taille des ouvrières, 2) la durée de vie des ouvrières et 3) le vieillissement du sperme chez les mâles.Dans le Chapitre 1, nous avons démontré que la méthylation de l'ADN influence la taille des ouvrières chez deux espèces de fourmis monomorphes. Le traitement de larves ouvrières avec un agent pharmacologique hypométhylant a induit une augmentation de leur taille adulte et est associé à un accroissement de la méthylation du gène de croissance egfr. Cette relation ayant également été démontrée chez une fourmi polymorphe, certains mécanismes moléculaires régissant la taille des ouvrières apparaissent dès lors conservés chez les fourmis.Dans le Chapitre 2, nous avons démontré que la méthylation de l'ADN est impliquée dans la régulation de la longévité des ouvrières chez le bourdon Bombus terrestris. Le traitement d’ouvrières avec un agent hypométhylant a induit une augmentation de leur durée de vie moyenne de 43 %, ainsi que des modifications de la méthylation de gènes impliqués dans divers processus caractéristiques du vieillissement. Puisque la méthylation de l'ADN est également impliquée dans le vieillissement chez les mammifères, cette marque épigénétique pourrait jouer un rôle conservé dans ce processus chez les animaux.Dans le Chapitre 3, nous avons établi que le processus de vieillissement des spermatozoïdes chez les mâles de B. terrestris est associé à des changements de la méthylation de l'ADN de gènes impliqués dans des processus biologiques intimement liés au vieillissement. En outre, l'âge des mâles apparait négativement corrélé à leur attractivité sexuelle, à la qualité de leur sperme et au développement des colonies qu'ils engendrent. Dès lors, l'impact négatif de l'âge des mâles sur leur fitness et celle de leur descendance pourrait mener au déclin des populations de cette espèce.Cette thèse met en lumière le rôle important de la méthylation de l'ADN chez les Hyménoptères sociaux et apporte de nouvelles perspectives sur le rôle de cette marque épigénétique chez les animaux.