par Brasseur, Pierre ;Finez, Jean
Référence Les créateurs•rices de contenus sur internet (Paris)
Publication Non publié, 2021-10-21
Référence Les créateurs•rices de contenus sur internet (Paris)
Publication Non publié, 2021-10-21
Communication à un colloque
Résumé : | Cette communication propose d’étudier les logiques de production de contenus pour adultes diffusés en direct sur des plateformes de sexcam. Ces sites web permettent de mettre en relation des productrices ou producteurs de contenus, dont on s’attachera à décrire la diversité, et des spectateurs. L’espace des shows cam commence à faire l’objet d’une série de travaux sociologiques (par exemple : Jones, 2015, 2016, 2020 ; van Doorn et Velthuis, 2018, 2020 ; Sanders et al., 2020). L’activité de production (création, diffusion, communication…) de ces contenus a été longtemps principalement étudiée sous deux angles. Tandis que certains travaux ont mis en évidence l’exploitation des créatrices et créateurs de contenus par les plateformes de diffusion, d’autres ont envisagé les espaces de diffusion comme des opportunités d’émancipation économique et sexuelle. Cette opposition structurante entre exploitation et émancipation, également présente dans d’autres recherches consacrées au travail du sexe et au digital labor, commence aujourd’hui à être dépassée au profit d’analyses soulignant les contradictions internes aux dispositifs capitalistes et aux agents qui les font exister. Cependant, leurs analyses accordent souvent peu d’importance aux dynamiques de transformation de ces espaces et aux trajectoires sociales des créatrices et créateurs de contenus numériques. L’enjeu est d’autant plus important que, pour faire face à une concurrence exacerbée et aux recompositions des marchés numériques, les plateformes font évoluer en permanence leurs stratégies, contraignant les travailleurs et usagers à modifier leurs activités.Cette communication adopte une approche institutionnaliste de manière à saisir les logiques de production de contenus considérés comme pornographiques. Notre parti pris est d’étudier l’espace de la cam sous l’angle du marché, du travail et de la valeur. Une telle perspective permet de réinscrire les pratiques de diffusion sur les plateformes de sexcam (Cam4, Chaturbate, LiveJasmin, etc.) dans le réseau des sites web et applications tolérant, autorisant ou valorisant les contenus pornographiques (Twitter, Snapchat, Onlyfans, etc.) (marché). Elle permet également de questionner la place des pratiques de diffusion dans les parcours de vie et l’économie domestique des producteurs de contenu (travail). Elle permet enfin de mettre en évidence la coexistence de logiques de profits monétaires et d’autres logiques engageant le plaisir et le loisir (valeur). Notre approche décrit à la fois comment les plateformes façonnent les pratiques de valorisation de soi, des corps et de la sexualité et à l’inverse comment les productrices et producteurs de contenus — que leur activité s’inscrive ou non dans une démarche de création — tentent de se réapproprier les dispositifs de diffusion, en les détournant parfois de leur usage initial.D’un point de vue méthodologique, notre analyse s’appuie sur un double matériau empirique qui permet de saisir à la fois les activités en ligne et hors écran. D’une part, nous avons réalisé une série d’observations ethnographiques des espaces numériques de la cam. D’autre part, nous mobilisons 40 entretiens réalisés auprès de diffuseuses et diffuseurs de contenus disponibles sur les sites web de sexcam, et de manière complémentaire des entretiens réalisés auprès des autres parties prenantes (19 spectateurs et 2 gestionnaires de plateformes). Tous ces matériaux ont été collectés dans le cadre d’une enquête en cours ayant débuté en 2017 (L’enquête ECO-INTIME est un projet de recherche financé par l’Université Grenoble Alpes (ANR-15-IDEX02) consacré aux économies du sexe et de l’intime sur Internet). Les membres actuels du projet sont Anne-Sophie Béliard, Pierre Brasseur, Jean Finez, Jean-Marc Francony, Jingyue Xing).La communication est organisée en cinq parties. Dans la première partie, nous essayerons de décrire les espaces de la cam. La pornographie en ligne fait l’objet de beaucoup de prénotions. Une des raisons de cette méconnaissance est liée aux difficultés d’accès aux terrains et aux données. Il s’agira concrètement de décrire les espaces de la cam à travers l’analyse des activités, des acteurs, des espaces, des dispositifs et des enjeux. Nous reviendrons sur les conditions de genèse et d’institutionnalisation de cette activité qui vient bouleverser les économies de la sexualité, en particulier l’industrie de la pornographie et la prostitution. Nous montrerons également comment les espaces de la cam participent au renouvellement des scripts sexuels des usagers. Nous montrerons en outre que si les dispositifs de diffusion cadrent les pratiques des productrices et producteurs de contenus, ces derniers existent de différentes manières dans les espaces de la cam. Nous décrivons ces modes d’existence dans les trois parties suivantes de la communication.La deuxième partie présente une figure méconnue du monde de la diffusion de contenus sur les plateformes : les exhibitionnistes. Ces producteurs de contenus, qui sont souvent des hommes ne sont pas à proprement parler des créateurs : ils envisagent la diffusion comme unepratique sexuelle et cherchent avant tout à prendre du plaisir. Les exhibitionnistes ont la particularité d’être nombreux tout en étant cachés et peu souhaités par les plateformes.La troisième partie décrit une figure promue par les plateformes de diffusion pour se distinguer et exister dans le monde de la pornographie : les authentiques. Le groupe des authentiques est composé principalement de jeunes femmes, et dans une moindre mesure d’hommes gays et de couples en quête d’une sexualité renouvelée. Ces productrices et producteurs de contenus sont attachés à la démarche de création et valorisent la dimension artistique de leurs pratiques.La quatrième partie se penche sur le cas des stars. Numériquement peu nombreuses, ces femmes (et les quelques hommes gays) qui composent ce groupe ont parfois une carrière antérieure dans la pornographie « classique ». Les stars, qui sont fortement médiatisées par les plateformes, constituent des produits d’appel pour attirer les internautes. Elles envisagent la diffusion de shows cam comme une activité professionnelle à part entière.L’enjeu de la cinquième et dernière partie est de partir des trois figures décrites pour analyser les dynamiques de recomposition des activités pornographiques en ligne et plus généralement des plateformes de contenus numériques. Nous souhaitons ainsi contribuer, à partir de l’analyse des espaces de la cam, aux réflexions en cours sur le travail et l’emploi sur les marchés valorisant la production de contenus en ligne. |