Résumé : La présente thèse dresse une histoire juridique contextuelle des programmes de traités bilatéraux d'investissement (TBI) en Europe occidentale entre 1959 et 1989. Les TBI sont des accords internationaux, habituellement entre deux États, par lesquels les parties conviennent de règles juridiques spécifiques et de procédures de règlement des différends pour régir les investissements réalisés par les ressortissants d'une des parties au traité sur le territoire de l'autre partie au traité. Depuis 1959, plus de 3 000 de ces accords ont été signés. Au cours des deux dernières décennies, les TBI sont devenus beaucoup plus politisés et controversés en raison de l'augmentation des litiges entre investisseurs et États devant des tribunaux arbitraux internationaux, la compétence du tribunal étant souvent fondée sur un article d'un TBI qui prévoit une offre de recours à l'arbitrage en cas de litige. Plus de 1000 affaires ont ainsi été rendues publiques, donnant régulièrement lieu à des arbitrages d'une valeur de plusieurs millions de dollars. Dans cette thèse, j'analyse les débuts des programmes de TBI. Ma thèse répond à trois questions, à savoir (1) comment le régime des TBI s'est-il développé entre 1959 et 1989 ; (2) pourquoi les pays d'Europe occidentale ont-ils négocié et signé des TBI au cours de cette période et (3) quel rôle, quelle signification et quelle importance relative les négociateurs et les acteurs du monde des affaires d'Europe occidentale ont-ils accordé aux règles et aux dispositions juridiques incluses dans ces accords ? La thèse utilise une approche d'étude de cas comparative pour répondre à ces questions, analysant la politique de trois négociateurs ouest-européens importants de ces traités : la République fédérale d’Allemagne, la Suisse et les Pays-Bas. La thèse s'appuie sur des recherches dans les archives publiques et privées de plusieurs pays, mettant en lumière un grand nombre de sources primaires sur le droit et la politique des négociations de traités d'investissement qui n'ont jamais été analysées auparavant par des juristes ou des historiens. Outre une introduction (Chapitre 1), la thèse comprend cinq chapitres principaux, qui suivent une approche chronologique sur trois décennies de négociation de traités d'investissement, en se concentrant sur les principaux développements bilatéraux et multilatéraux durant cette période. Le Chapitre 2 se concentre sur les tentatives infructueuses de négociation d'un traité multilatéral d'investissement au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) entre 1956 et 1967, en utilisant une approche centrée à la fois sur l'État et sur les entreprises, étant donné que cette initiative a été prise à l'origine par de grandes entreprises européennes (principalement) dans les secteurs pétrolier et bancaire. Les Chapitres 3 et 4 se concentrent sur la première décennie de négociations d'accords bilatéraux d'investissement. Le Chapitre 3 étudie les décisions initiales qui ont conduit les responsables politiques allemands, suisses et néerlandais à rédiger des modèles de traités d'investissement. Le Chapitre 4 examine la période 1959-1972 et met en lumière les premières négociations avec plusieurs pays d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine. Le Chapitre 5 analyse les années 1970, au cours desquelles les tensions Nord-Sud sur le rôle des multinationales occidentales et le droit de l'investissement étranger ont été particulièrement marquées au sein des Nations Unies. Après un bref aperçu des négociations multilatérales, le chapitre examine les développements ultérieurs des TBI. Le Chapitre 6 se concentre sur les années 1980, lorsque de nombreux États ont adopté une politique de libéralisation économique. Les TBI ont trouvé un terrain fertile au cours de cette décennie, le rythme des négociations s'accélérant. Dans un dernier chapitre, la thèse répond aux trois questions de recherche. Elle montre comment cinq "tournants"-clés permettent d'expliquer comment les TBI sont devenus des instruments globaux de politique économique étrangère à l'aube des années 1990, préparant le terrain pour le "boom" ultérieur du nombre de négociations de TBI. En réponse à la deuxième question de recherche, la thèse postule que sous réserve de quelques exceptions très marquées (par exemple, des juristes d’entreprise associés à Shell plc.), le lobbying direct des entreprises a joué un rôle relativement modeste dans les négociations d'accords bilatéraux d'investissement. La plupart des négociations ont été initiées par les négociateurs d’États européens, souvent pour des raisons politiques (par exemple, les négociations avec les États communistes d’Europe centrale et de l’Est) ou, surtout au début, en raison du lien entre les programmes nationaux de garantie des investissements et les TBI. Enfin, la thèse conclut également qu'il existe un contraste marqué entre les clauses juridiques jugées les plus importantes pour les États "à l'époque" (les clauses de libre transfert, de traitement national et d'expropriation) et celles qui font le plus souvent l'objet de litiges aujourd'hui (notamment le traitement juste et équitable), ce qui soulève des questions quant à la mesure dans laquelle le droit international de l'investissement a été "(re)modelé" par les premières affaires d'arbitrage investisseur-État dans les années 1990. __This thesis provides a contextual legal history of bilateral investment treaty (BITs) programmes in Western Europe from 1959 to 1989. BITs are international agreements between (usually) two states whereby both sides agree to specific legal rules and dispute settlement procedures to govern investments undertaken by nationals of one treaty party in the territory of the other treaty party. Since 1959, more than 3000 of these agreements have been signed. Over the past two decades, BITs have become much more politicised and controversial because of the rise in disputes between foreign investors and states before international arbitral tribunals, the tribunal’s jurisdiction often being based on an article of a BIT that provides a standing offer to resort to arbitration in case of disputes. This has led to over 1000 publicly known cases, regularly with multi-million dollar awards. In this thesis, I analyse the early history of BIT programmes. This PhD thesis answers three questions, namely (1) how did the BIT regime develop during the period 1959 to 1989; (2) why have Western European countries negotiated and signed BITs during this period and (3) what was the role, meaning, and relative importance Western European negotiators and business actors gave to the legal rules and provisions included in these agreements? The thesis uses a comparative case study approach to answer these questions, analysing the BIT policy of three important Western European BIT negotiators: the Federal Republic of Germany, Switzerland and The Netherlands. The thesis relies on archival research in state and private archives in several countries, unearthing an extensive set of primary sources on the law and policy of investment treaty negotiations that have not been analysed before by lawyers or historians. Next to an introduction (Chapter 1), the thesis contains five substantive chapters which follow a chronological approach across three decades of investment treaty-making, focusing on major bilateral and multilateral developments. Chapter 2 focuses on the failed attempts to negotiate a multilateral investment treaty at the Organisation for Economic Co-operation and Development (OECD) from 1956 to 1967, using both a state-centric and a business-centric approach, considering the initial impetus for this initiative came from (mainly) large European companies in the oil and banking sector. Chapters 3 and 4 zoom in on the first decade of BIT negotiations. Chapter 3 studies the initial decisions that led German, Swiss and Dutch policymakers to draft model bilateral investment treaties. Chapter 4 examines 1959 to 1972, spotlighting the early negotiations with several African, Asian and Latin American states. Chapter 5 analyses the 1970s, during which North-South tensions on the role of Western multinationals and the law of foreign investment ran high at the United Nations. After a brief interlude of the multilateral discussions, this chapter assesses how BIT programmes further developed. Chapter 6 centres on the 1980s, when many states underwent an economic liberalisation policy. BITs found fertile ground during this decade, the pace of negotiations accelerating. In a concluding chapter, the thesis answers the three research questions. It shows how five key ‘turning points’ help explain how BITs had become global instruments of foreign economic policy by the dawn of the 1990s, setting the stage for the subsequent ‘boom’ in the number of BIT negotiations. In reply to the second research question, the thesis posits that, with very few high-profile exceptions (i.a., lawyers associated with Shell plc.), direct business lobbying played a relatively subdued role in BIT negotiations. Most negotiations were initiated by home state negotiators, often for political reasons (e.g. negotiations with communist states in Central and Eastern Europe) or, especially early onwards, because of the link between national investment insurance programmes and BITs. Finally, the thesis also concludes that there is a stark divide between the legal clauses that were deemed of most importance to states ‘back then’ (the free transfer, national treatment and expropriation clauses) and those that are most often litigated nowadays (i.a. the fair and equitable treatment clause), raising questions about the extent to which international investment law was ‘(re)made’ by the early investor-state arbitration cases of the 1990s.