par Fornhoff, Michèle
Référence In vivo, 1, page (1-21)
Publication Publié, 2023-07-25
Article révisé par les pairs
Résumé : Entre 1880 et 1940, quelque 3,5 millions de Juifs ashkénazes fuient la Zone de Résidence à la recherche d'une vie meilleure ou plus sûre en Occident, miroitée par les grandes métropoles comme New York, Londres ou Paris. Si leur nouveau havre tend à offrir les atouts économiques et politiques d'une terre promise libératoire, ce transfert physique charrie aussi un bagage socioculturel d'importance : la yidishkeyt – judéité ou plus spécifiquement « yiddishité » – une ressource communautaire contre l'acculturation progressive. Partiellement basée sur ma thèse en cours d’élaboration, cette contribution propose d’étudier, à la lumière de l’histoire du théâtre yiddish et sous un angle ethnoscénologique, les trois médiateurs-clés de la yidishkeyt théâtrale – le corps, l'esprit et la langue yiddish – et de démontrer comment ceux-ci ont contribué à exprimer une altérité authentique délibérément cultivée, distinguant les Ostjuden de leurs homologues occidentaux – les Westjuden. Considéré comme un théâtre d'immigrés véhiculé par des troupes locales ou itinérantes qui connaissent un engouement fulgurant pendant l'entre-deux-guerres, le théâtre yiddish des capitales occidentales – en l’occurrence Paris – a joué un rôle essentiel dans la reconstruction et la préservation d'une identité juive abandonnée de gré ou de force, et a fonctionné comme un marqueur de premier plan dans la remémoration et l’instrumentalisation de traditions et d’origines partagées. Alors que ce théâtre organiquement populaire et subtilement codé s’appuie sur la performance et le jeu plutôt que sur le texte et la contemplation, et que son esprit dionysiaque trahit l'héritage de Pourim par son goût résolu pour la transgression et l'autodérision, le yiddish « langue-mère » évoquant le Vieux Pays, scelle le lien indéfectible entre scène et salle. Mais à une époque où l’antisémitisme rampant vient troubler les regards, la judéité théâtrale, politisée par des acteurs non-juifs désireux, pour leur succès personnel, de briller par l’exagération de traits sémitiques stéréotypés, suggère la porosité de la frontière entre authenticité théâtrale et théâtralité authentique.