Résumé : La migration, cadrée en « crises » successives (Balty & Mistiaen, 2022), est mise en mots par différents acteurs qui tentent d’en imposer leur propre perception et, par conséquent, les mesures qu’ils jugent nécessaires à cet égard. Dans cette « lutte pour l’appropriation des signes-pouvoirs » (Bonnafous & Tournier, 1995) où « tous parlent pour persuader » (Orkibi, 2015), la parole contestataire de soutien aux migrants s’élève comme une remise en cause d’une doxa, du cadre qui pense et dit les migrations aujourd’hui (Jacquez, 2015). De l’ordre de l'insurrection, elle transgresse, conteste, interroge les valeurs de la société, les priorités politiques, les idées reçues… S’agit-il d’une « crise des migrants » ou d’une « crise de l’humanité » ? Les migrants sont-ils des « illégaux » ou des « citoyens » ? Cette dimension symbolique du discours militant joue un rôle-clé dans « l’évolution et la transformation du vocabulaire et du discours qui gèrent le système des normes et des valeurs de notre société » (Orkibi, 2015, p. 14). Les mots, leur choix, leur(s) sens et la réflexivité dont ils font – ou non – l’objet en discours sont autant d’observatoires non seulement des positionnements et perceptions de ces acteurs par rapport à la migration (et, par conséquent, les uns par rapport aux autres), mais aussi de la manière dont, par le langage, ils tentent de changer les perceptions de la société. C’est à ces pratiques discursives que la présente recherche s’intéresse : comment ces acteurs militants – migrants, associatifs et citoyens en particulier – de la « cause des migrants » en Belgique et à Bruxelles tentent-ils de changer les perceptions de la migration à l’aide des mots ? Et inversement : comment changent-ils les mots de la migration selon leur perception de la réalité ? Portant une attention particulière à la construction du sens en discours, la recherche explore la réflexivité politique et langagière des acteurs.La thèse s’ancre en analyse de discours, et plus particulièrement en sémantique discursive, et s’attèle à analyser les dénominations utilisées par six acteurs (collectifs) militants pour référer aux personnes en migration. Ce faisant, elle envisage la nomination dans un sens très large, comme une activité des porte-paroles qui réfléchissent en amont à la « meilleure manière » de nommer ces personnes. Conceptuellement, la thèse articule analyse de la nomination à l’analyse de la réflexivité et de l’idéologie politiques et langagières des locuteurs (collectifs). Méthodologiquement, elle articule l’analyse du contexte de la cause des migrants en Belgique et à Bruxelles à celle des dénominations actualisées dans le discours des acteurs. Elle permet ainsi de mieux comprendre les espaces du dicible qui, au Nord et au Sud de la Belgique, contraignent et rendent possibles le choix des mots, leur(s) sens discursifs et la réflexivité dont ils sont – ou non – l’objet dans le discours des six acteurs collectifs sélectionnés : le CIRÉ, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Orbit vzw, la Coordination des Sans-Papiers de Belgique, Sans-Papiers TV et la Plateforme Citoyenne.Le corpus rassemble différents supports de communication en ligne (rapports annuels, sites web officiels, pages et publications Facebook) et des entretiens menés avec les porte-paroles ou chargés de communication des six acteurs de la scène militante bruxelloise.
Migration is nowadays framed in successive “crises” (Balty & Mistiaen, 2022) and put into words by different actors who try to impose their own perception of it and, consequently, their own agenda. In this “struggle for the appropriation of signs-power” (Bonnafous & Tournier, 1995), where “everyone speaks to persuade” (Orkibi, 2015), our translation, the protest discourse of actors supporting migrants rises as a challenge to a doxa, to the framework that thinks and says migration today (Jacquez, 2015). This protest discourse transgresses, challenges, questions society’s values, political priorities, and preconceptions. Is this a “migrant crisis” or a “crisis of humanity”? Are migrants “illegals” or “citizens”? This symbolic dimension of activist discourse plays a key role in “the evolution and transformation of the vocabulary and discourse that manage our society’s system of norms and values” (Orkibi, 2015, p. 14, our translation). Words, their choice, their meaning(s) and the reflexivity and metadiscourses around them are all observatories not only of the positionings and perceptions of these social actors in relation to migration (and, consequently, to each other), but also of the way in which, through language, they attempt to change society’s perceptions. The present research focuses on these discursive practices: how do the activist actors – migrants, associations, and citizens in particular – of the “migrant cause” in Belgium and Brussels attempt to change perceptions of migration using words? And vice versa: how do they change the words of migration according to their perception of reality? Paying particular attention to the construction of meaning in discourse, the research explores the political and linguistic reflexivity of activist actors.Rooted in discourse analysis, and more specifically in discursive semantics, the present thesis sets out to analyse the denominations used by six (collective) activist actors to refer to people on the move: CIRÉ, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Orbit vzw, la Coordination des Sans-Papiers de Belgique, Sans-Papiers TV and la Plateforme Citoyenne. It compares not only how the words these actors use but also the meanings of these words in their discourse, depending on the institutionalisation degree of these actors and the linguistic community they belong to. In so doing, it considers naming in a very broad sense, as an activity of speakers who reflect on the “best way” to name people on the move. Conceptually, the thesis articulates the analysis of nomination with the analysis of the political and linguistic reflexivity and ideology of (collective) speakers. Methodologically, it articulates the analysis of the context of migrants’ mobilisation in Belgium and Brussels with the analysis of the denominations used in discourse. This allows to better grasp the borders that constrain and allow what can be said to support people on the move in the North and South of Belgium.The corpus brings together various online communication media (annual reports, official websites, Facebook pages and publications) and interviews conducted with the spokespersons or communications officers of six actors on the Brussels activist scene.